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1995. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre II. La Nationalisation de la Littérature (1610-1722) » pp. 107-277

Après un siècle de tâtonnements et d’efforts, pendant lequel on avait demandé tour à tour aux Anciens, aux Italiens et aux Espagnols les moyens d’atteindre ce que l’on ne voyait pas très clairement, on le voyait enfin, et les moyens n’en consistaient qu’à s’affranchir de l’imitation des Espagnols et des Italiens, pour se mettre, comme autrefois les Anciens, en face de la nature. […] De la préciosité comme conception littéraire. — Elle consiste à croire : — 1º que le plaisir littéraire, comme le plaisir musical, ou comme le plaisir pittoresque, a quelque chose de spécifique, ou d’unique en son genre, — ce qui est vrai ; — 2º que ce plaisir procède essentiellement de la forme, c’est-à-dire du tour ou de la façon que l’on donne aux choses que l’on dit, — ce qui est déjà moins vrai ; — et, 3º qu’il est en proportion de l’effort qu’on a fait ou des difficultés qu’on a dû surmonter pour trouver cette façon de dire, — ce qui n’est plus du tout vrai. — Analogies et différences de cette conception avec la conception de l’art pour l’art. — Que la principale en consiste en ceci qu’au lieu de la réalisation de la « beauté », c’est celle de la « mode » que la préciosité se propose pour objet. — Conséquences qui en résultent : — 1º On prend le pédantisme, et l’érudition, ou la tradition même en horreur ; — 2º on n’apprécie, dans les choses de l’esprit comme dans la conversation, comme dans le vêtement, que l’air de modernité ; — 3º on tend, par suite, à exagérer la distance qui sépare les « honnêtes gens » du vulgaire. […] 3º L’Influence immédiate de l’Académie. — Elle a substitué d’abord l’autorité d’un centre littéraire à la dispersion des coteries ; — et ainsi les efforts individuels ont commencé par elle et en elle de converger vers un but commun. — Inconvénients et avantages de la centralisation littéraire. — L’institution de l’Académie a enfoncé dans les esprits cette idée que la gloire des lettres fait partie intégrante et nécessaire de la grandeur d’un peuple [Cf.  […] — Aveu de Renan sur ce point ; et que le dernier effort de sa « philologie » a été de reconnaître qu’il n’y avait que « trois histoires de premier intérêt : la Grecque, la Romaine et la Juive » ; — et que par conséquent d’acheminer les deux premières jusqu’à leur rencontre avec la troisième, quand ce ne serait qu’une méthode, ce serait encore la bonne. — Que, ce point accordé, les jugements particuliers de Bossuet conservent une valeur « scientifique » réelle ; — et contiennent des observations dont on n’a depuis lui dépassé ni la justesse ni la profondeur. — Ajoutez qu’il a fondé dans la littérature européenne la « philosophie de l’histoire » [Cf.  […] Malebranche, 1687 ; — le sixième Avertissement aux protestants, 1691]. — Qu’il a également bien vu où tendait la critique de Richard Simon ; — et qu’on ne peut raisonnablement lui faire un grief de n’avoir pas admis, avec le « père de l’exégèse moderne », que la Bible fût un livre de la nature de l’Iliade ou du Ramayana. — Qu’en réalité Bossuet : pendant près d’un siècle, a été le maître de la pensée orthodoxe ; — aussi, est-ce contre lui que les « philosophes » porteront bientôt leur principal effort ; — et pour cette raison, on ne saurait comprendre Voltaire, si l’on ne connaît d’abord Bossuet.

1996. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIVe entretien. Alfred de Vigny (1re partie) » pp. 225-319

On voyait qu’il y avait, non pas effort, mais attention continue dans les nerfs et dans les muscles qui formaient l’encadrement des regards ; bien que cette attention intérieure et tournée en dedans produisît involontairement une certaine tension des paupières qui rétrécissait le globe de l’œil, la couleur bleu de mer, de ce liquide qu’aucune ombre ne tachait, et la franchise amicale de son coup d’œil qui ne cherchait jamais à pénétrer dans le regard d’autrui, mais qui s’étalait jusqu’au fond de l’âme chez lui, inspirait à l’instant confiance absolue dans cet homme. […] Kitty Bell monte à demi évanouie en s’accrochant à la rampe de chaque marche ; elle fait effort pour tirer à elle la porte, qui résiste et s’ouvre enfin.

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