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255. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre II. Les génies »

Job commence le drame, et il y a quarante siècles de cela, par la mise en présence de Jéhovah et de Satan ; le mal défie le bien, et voilà l’action engagée. […] Job extrait de son drame un dogme ; Job souffre et conclut. […] Mariez les amants ou emparadisez les âmes, c’est bon, mais cherchez le drame ailleurs que là. […] De là, pour la poésie, le drame et l’art, l’ère actuelle, aussi indépendante de Shakespeare que d’Homère. […] Deux hommes dans ce groupe, Eschyle et Shakespeare, représentent spécialement le drame.

256. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

Car si je vous dis que le caractère d’une époque poétique est tel ou tel, et que vous me citiez en opposition des auteurs dramatiques ou des romanciers, il faudra bien que je cherche ce qu’il y a de plus poétique en eux, la pensée avec laquelle ils font du drame et des caractères, il faudra bien que je leur demande leur pensée lyrique ; ce qui suppose que nous nous entendons, moi et le lecteur, sur cette question : À quelle condition le drame et le roman sont-ils de l’art ? […] — Et l’on a poussé la folie jusqu’à demander de quelle utilité était au monde l’Othello de Shakespearea ; on a proposé sérieusement à l’Humanité d’abolir le drame ; car, le drame étant la peinture de passions tristes ou coupables, on ne voyait pas quel avantage en résultait pour l’Humanité. […] Nous pouvons prendre un plaisir infini à leurs ouvrages, comme nous en prenons à la lecture d’un drame indien, de Sacontala, par exemple, et même ils ont avec nous un rapport de parenté que n’aurait pas le drame indien ; mais ils ne peuvent faire autorité dans la question qui nous occupe. […] Byron dans tous ses ouvrages et dans toute sa vie, Goethe dans Werther et Faust, Schiller dans les drames de sa jeunesse, Chateaubriand dans René, Benjamin Constant dans Adolphe, Senancourf dans Oberman, Sainte-Beuve dans le livre que nous venons de caractériser, une innombrable foule d’écrivains anglais et allemands, et toute cette littérature de verve délirante, d’audacieuse impiété et d’affreux désespoir qui remplit aujourd’hui nos romans, nos drames et tous nos livres, voilà l’école ou plutôt la famille de poètes que nous appelons Byronienne : poésie inspirée par le sentiment vif et profond de la réalité actuelle, c’est-à-dire de l’état d’anarchie, de doute et de désordre où l’esprit humain est aujourd’hui plongé par suite de la destruction de l’ancien ordre social et religieux (l’ordre théologique-féodal) et de la proclamation du principe de l’Égalité, qui doit engendrer une société nouvelle.

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