C’est comme une intimité physique et intellectuelle, dans une sorte de demi-teinte où les lueurs fugitives des reverbères passant par les portières, jouent dans l’ombre avec la femme, disputent à une obscurité délicieuse et irritante sa joue, son front, une fanfiole de sa toilette et vous montrent un instant son visage de ténèbres, aux yeux emplis d’une douce couleur de violette. […] Et c’étaient de douces pressions, un échange de sourires paresseux, une volupté de cœur toute tranquille, un muet bonheur… Et il arrive pourtant à ce décriveur des joliesses et des bonheurs, à ce réaliste qui sait parfois être gaminement gai, d’être attiré par le fantastique et le crépusculaire que montre parfois la vie parisienne, par l’existence excessive et mystérieuse de la Tomkins, l’afféterie voluptueusement macabre de Mme Malvezin. […] Le numéro était une fois par semaine rempli tout entier d’une fantaisie de Banville, et pour montrer à quel point on laissait ce poète hausser le ton coutumier de journaux, nous citerons de lui cette magnifique phrase, dont le pendant ne se trouvera guère dans nos quotidiens : « Ainsi dans le calme silence des nuits, aux heures où le bruit que fait en oscillant le balancier de la pendule, est mille fois plus redoutable que le tonnerre, aux heures où les rayons célestes touchent et caressent à nu l’âme toute vive, où la conscience a une voix, où le poète entend distinctement la danse des rhythmes dégagés de leur ridicule enveloppe de mots, à ces heures de recueillement douloureuses et douces, souvent, oh !
et il en tira un bon parti de douces plaisanteries mélancoliques. […] Le Koran n’ajoutera pas une modeste obole au bagage de trésors que Sterne porte devant la postérité, et ne mettra pas un rayon de plus autour de cette tête pâle et pensive, qui n’a pas besoin d’une auréole ; — qui, comme le marbre dans un coin obscur, s’éclaire de sa propre blancheur et brille à l’écart, un peu solitaire, parmi les grandeurs littéraires de sa patrie, d’un éclat si étrangement doux ! […] Une jatte de lait, une chemise blanche et une conscience pure… » Il a la savoureuse et forte sagesse de ceux que l’Évangile a calmés, et c’est à son génie et à ses œuvres bien plus qu’aux meilleurs des vins de la terre, qu’on pourrait donner ce doux nom de larmes du Christ, que les hommes, consolés de tout par une jouissance, ont donné à quelques gouttes d’éther parfumées de soleil !