une mélancolie encore, comme s’il avait su ne devoir plus jamais, jamais nous en donner… II Voulez-vous les déguster avec moi, ces gouttes de poésie qui filtrent et glissent dans ce recueil de vers comme les gouttelettes de rosée sur les fleurs d’un bouquet, — de cette rosée qui vaut mieux que les roses qu’elle baigne ? […] C’est le génie de l’élégiaque qui a dicté ces choses adorables d’émotion et de simplicité : le poème intitulé Médoc, Le Musicien, Le Paresseux, Le Ruisseau, Les Espagnoles, Encore à Madame X…, etc. ; surtout cette pièce de La Leçon de flûte, que je citerai tout entière pour donner une idée de ce poète qui rappelle ici André Chénier et le Poussin : J’étais resté longtemps les yeux sur un tableau Où j’avais retrouvé Théocrite et Belleau, Fraîche idylle aux bosquets de Sicile ravie Ayant bu la lumière et respiré la vie. […] Ce n’est pas un simple son mélancolique qui passe, c’est toute une série de sons qui nous donne tout un poème de mélancolie. Et c’est une leçon de flûte, aussi, donnée à ceux qui adorent la Poésie par un poète au lieu d’un berger, et dont la flûte est enchantée !
Quand on venait de nous donner les mordantes eaux-fortes qui s’intitulent les Contes arabesques d’Edgar Poe, faites pour la substance dure de l’organisme américain, mais réellement trop fortes pour le public qui crée le succès en France, les lithographies d’Erckmann-Chatrian devaient réussir, et cela n’a pas manqué. […] Courageux contre notre opinion, il a continué de marcher dans cette voie où l’on ne s’en tire qu’avec des ailes, et il nous donne, absolument comme si nous n’avions rien dit, deux volumes, — que dis-je ? […] C’est de l’horrible matériel qui tient de la place, et non pas de l’horrible subtil tel qu’on le rencontre dans les maîtres du fantastique, ce genre d’horrible impondérable qui vous donne la sensation, autour du cœur, d’un étau froid. Nous ne parlons pas du Sacrifice d’Abraham, une grande diablesse d’histoire dont Rembrandt est le héros, laquelle n’a pas de raison pour être plutôt dans ce volume que dans tout autre volume de nouvelles, et qui en aurait une que je sais bien de n’y être pas… Enfin, dans les Contes de la montagne, où l’auteur se détire de son fantastique et commence de s’en dégager, vous ne trouverez que deux contes de cette espèce : Le Violon du pendu et L’Héritage de mon oncle Christian, aussi faibles d’ailleurs que tout le reste ; car pour le Conte qui a presque proportion de roman, et qui envahit, à lui seul, tout le volume, ce très beau Conte de Hugues-le-Loup, je ne le mets point parmi les tentatives fantastiques de l’auteur, malgré la donnée somnambulique qui en fait le dénouement et qui a été si rabâchée depuis Shakespeare, mais je le place plutôt parmi les autres récits, où le talent d’Erckmann-Chatrian, son talent réel et lumineux, — son talent antifantastique — s’est montré avec le plus de suite et d’éclats.