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418. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

Argus (c’est le nom de l’aîné des fils de Chalciope) commence en médiateur ; il essaye de disposer son grand-père en faveur des étrangers ; il raconte les services que lui et ses frères en ont reçus, le but de l’expédition, la qualité et la race divine de cette élite de héros ; que Jason ne vient que pour satisfaire aux ordres d’un tyran jaloux, et que, s’il obtient de plein gré la toison désirée, il est prêt, lui et ses amis, à payer ce bienfait par tous les services. — Éétès s’emporte à cette nouvelle, il met en doute la bonne foi des arrivants, il menace. […] C’est alors que le roi, dissimulant un peu sa colère et imaginant un détour dont il se croit assuré, lui propose de lui céder la toison d’or à condition de l’épreuve suivante : Dans un champ consacré à Mars, il a deux taureaux aux pieds d’airain, et dont les naseaux vomissent la flamme ; si Jason parvient à les dompter, à les soumettre au joug, puis à labourer le champ de Mars, et, l’ayant ensemencé des dents d’un dragon, à moissonner la terrible moisson de géants armés qui en doivent naître, il aura la toison divine, mais pas autrement. — Jason, effrayé au fond, hésite ; il finit par s’engager pourtant, faute de pouvoir reculer, et sans savoir comment il sortira d’une telle lutte. […] Il lui sembla que l’étranger se soumettait à l’épreuve, non pas tant qu’il désirât beaucoup de remporter la toison du divin bélier, car ce n’était point pour cette cause qu’il était venu dans la ville d’Éétès, mais bien pour la ramener dans sa patrie, elle comme son épouse virginale104. […] Ce discours, tout positif et de prescription technique, a pour avantage, en allant d’abord au principal de son inquiétude, de la sauver encore elle-même des restes d’embarras qu’elle éprouve, de lui donner le temps de se remettre et de suspendre par un dernier détour l’expression directe de ses sentiments ; ils éclatent pourtant dans ce peu de mots qui terminent les conseils : « Tu pourras de cette sorte emporter la toison en Grèce, — bien loin de Colchos114 ; après cela, pars, va où le cœur t’appelle, où tu es si empressé de retourner. » Tout ce qui suit est d’une gradation charmante : « Ainsi donc parla-t-elle ; et en silence, ses regards tombant devant ses pieds, elle baignait sa joue divine de tièdes larmes, s’affligeant de ce qu’il allait errer si loin d’elle à travers les mers ; et de nouveau elle lui adressa en face ces paroles pleines d’amertume, en lui prenant la main droite, car déjà la pudeur désertait de ses yeux : « Souviens-toi, si jamais tu es de retour dans ta patrie, souviens-toi du nom de Médée, comme moi-même je me souviendrai de toi, si éloigné que tu puisses être. […] Réfugiée à bord du vaisseau des Argonautes, elle en redescend pour guider de nuit Jason par la forêt, et sous l’œil du dragon, qu’elle endort, à la conquête des dépouilles du bélier divin : cette scène encore est toute semée de belles images et de poésie.

419. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIe entretien. Littérature latine. Horace (1re partie) » pp. 337-410

VII Quelques jours après, Brutus, éloigné de Rome par un exil déguisé sous un gouvernement de Macédoine, passa par Athènes ; il fut reçu comme un vengeur divin de la liberté romaine ; il y connut Horace dans la société des jeunes Bibulus, Cicéron, Messala, ses amis. […] J’ai visité moi-même ce champ de bataille de Philippes où Brutus et Cassius s’étaient campés autour d’un mamelon de terre et de rocher qui ressemble à une citadelle naturelle, entre les montagnes de la haute Macédoine et la vallée de l’Hèbre, qui roula les membres d’Orphée, l’Horace divin. […] Virgile, le poète divin de Mantoue, était venu à Rome revendiquer, par l’entremise de Mécène, sa petite métairie paternelle dont la guerre civile l’avait dépouillé. […] Ô délicieux déclin des jours, repas divin, où, en présence des dieux de mon humble foyer, je me restaure avec mes amis, au milieu d’heureux serviteurs auxquels je fais distribuer les mets de la même table à mesure qu’on les dessert, et dont la rustique joie me réjouit moi-même ! […] L’amabilité peut se définir le don d’aimer et d’être aimé ; ce don se révèle dans les œuvres d’un écrivain comme dans son caractère ; il n’est pas le génie, mais il est le charme, cette qualité indéfinissable qui est le génie de l’agrément ; le don de plaire, ce don de plaire qu’on n’a jamais pu définir parce qu’il est divin, est bien rarement compatible avec l’austérité de l’esprit, du caractère et des œuvres d’un homme.

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