Les Muses, en effet, s’essayent, et alors elles font des poèmes, des fantaisies mythologiques, qui, tout naturellement, se tournent moitié en satire, moitié en petits poèmes critiques, d’une originalité composite tout à fait piquante qui répond précisément à la question et au désir du dieu : il nous faut du nouveau. […] Des plus sauvages cœurs il flatte le désir. […] Vous vivrez plus longtemps encor que vos attraits ; Je ne vous réponds pas alors d’être fidèle : Mes désirs languiront aussi bien que vos traits ; L’amant se sent déchoir aussi bien que la belle. […] Ils sont contraints de se faire, de temps en temps, des sujets de désir et d’inquiétude : tant il est vrai que l’entière satisfaction et le dégoût se tiennent la main !
Fénelon, comme tous les vrais chrétiens, trouverait cette façon d’atteindre à la sagesse et au bonheur bien morne et bien insuffisante ; ce n’est point en se réfugiant et en se retranchant dans le moi qu’il croit possible de trouver la paix : car en nous, pense-t-il, et dans notre nature sont les racines de tous nos maux ; tant que nous restons renfermés dans nous-mêmes, nous offrons prise sous le souffle du dehors à toutes les impressions sensibles et douloureuses : Notre humeur nous expose à celle d’autrui ; nos passions s’entrechoquent avec celles de nos voisins ; nos désirs sont autant d’endroits par où nous donnons prise à tous les traits du reste des hommes ; notre orgueil, qui est incompatible avec l’orgueil du prochain, s’élève comme les flots de la mer irritée : tout nous combat, tout nous repousse, tout nous attaque ; nous sommes ouverts de toutes parts par la sensibilité de nos passions et par la jalousie de notre orgueil. Le remède, à ses yeux, est donc de sortir de soi pour trouver la paix, et de s’élever par le cœur et par la prière, de se plonger et de se perdre autant qu’on le peut dans la pensée de l’Être infini, de l’Être paternel, aimant et bon, et toujours présent ; d’obtenir, s’il est possible, que sa volonté se substitue en nous à la nôtre : Alors on goûte la vraie paix réservée aux hommes de bonne volonté… ; alors les hommes ne peuvent plus rien sur nous, car ils ne peuvent plus nous prendre par nos désirs ni par nos craintes ; alors nous voulons tout et nous ne voulons rien. […] Si peu qu’il reste de désirs et de sensibilité d’amour-propre, on a toujours ici de quoi vieillir : on n’a pas ce qu’on veut, on a ce qu’on ne voudrait pas ; on est peiné de ses malheurs, et quelquefois du bonheur d’autrui ; on méprise les gens avec lesquels on passe sa vie, et on court après leur estime.