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427. (1772) Éloge de Racine pp. -

C’est de la nature que tu reçus cette sensibilité prompte qui réfléchit tous les objets qui l’ont frappée, ce tact délicat, ces vues justes et fines, ce discernement si sûr, ce sentiment des convenances, ce goût enfin cultivé par les leçons de port-royal, nourri par le commerce assidu des anciens, fortifié par les conseils de Boileau ; ce goût, qualité rare et précieuse, qui peut-être est au génie ce que la raison est à l’instinct, s’il est vrai que l’instinct soit le mobile de nos actions, et que la raison en soit le guide ; ce goût qui attache aux productions vraiment belles le sceau d’une admiration éclairée et durable ; qui sépare, par un intervalle immense, les Virgile, les Cicéron, les Horace, des Lucain, des Stace et des Sénèque ; qui seul enfin élève les ouvrages de l’homme à ce degré de perfection qui semblait au dessus de sa foiblesse. […] Que tout ce role est plein de nuance délicate que personne n’avait connues jusqu’alors, plein d’un pathétique pénétrant dont il n’y avait aucun exemple ! […] Racine avait déployé dans celle-ci tout ce que la passion a de plus violent, de plus funeste, de plus terrible : il développe dans l’autre tout ce que cette même passion a de plus tendre, de plus délicat, de plus pénétrant. […] Courtisan délicat sans être vil, il était mieux à la cour que Boileau, parce qu’il avait de la flexibilité et des graces que Boileau n’avait pas.

428. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Alphonse Daudet »

Des jugeurs, que j’ai quelquefois entendus chiffonner ce talent délicat, ne niaient pas son originalité, mais disaient qu’il n’en avait qu’une goutte, comme si une goutte ne suffisait pas ! […] La petite flamme bleue des génies capricieux et charmants qu’il a dans l’esprit, cet homme de délicate fantaisie la promène et la fait ramper sur des sujets abjects et répugnants, sous prétexte de mœurs contemporaines à reproduire, — car son roman de Jack porte le sous-titre de Mœurs contemporaines ; et la Critique, en voyant cette application à contresens de facultés destinées à des sphères d’observation plus hautes, la Critique, qui n’est pas impassible comme Daudet voudrait l’être, a toute la tristesse du regret. […] Sans cette faculté d’attendrissement, il resterait, je n’en doute pas, par son fond, mortellement antipathique aux esprits élevés et délicats, le vrai, le seul public pour un écrivain de la race de Daudet. […] Le sujet de ce livre est d’une virilité qui lui en donne une, et quoique son exécution ne soit pas au niveau de sa conception, cette conception est d’une telle vigueur qu’elle en communique à ce délicat, ordinairement plus fin que fort et moins robuste que sensible.

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