Quand on lit les auteurs du xiie siècle, la difficulté de la lecture vient moins de leur défaut de netteté et de clarté, que de notre manque d’habitude, et de ce que nous ne reconnaissons pas toujours immédiatement le mot latin sous le travestissement d’une orthographe à la fois chargée de lettres et incertaine. Même, s’il pouvait être question de défauts dans un âge si tendre, j’y remarquerais le défaut des esprits clairs et nets, qui est une certaine sécheresse ; c’est comme la première forme d’un esprit sain qui n’est pas encore développé.
La linguistique tombe dans le même défaut quand, au lieu de prendre les langues dans leurs variétés individuelles, elle se borne à l’analyse générale des formes communes à toutes, à ce qu’on appelle grammaire générale. […] Je suppose qu’un homme d’esprit (c’est presque le cas d’Apollonius de Rhodes) pût attraper le pastiche du style homérique de manière à composer un poème exactement dans le même goût, un poème qui fût à Homère ce que les Paroles d’un Croyant sont à la Bible ; ce poème, aux yeux de plusieurs, devrait être supérieur à Homère ; car il serait loisible à l’auteur d’éviter ce que nous considérons comme des défauts, ou du moins les manques de suite, les contradictions. […] Le défaut de la plupart de nos grammaires élémentaires est de substituer le tour de règles et de procédés à l’histoire raisonnée des mécanismes de la langue.