Si vous l’ignorez, lecteur, le voici : « On avait cru jusqu’à ce jour en France, et depuis Gassendi jusqu’à MM. de Fontanes et Villemain, que Lucrèce, esprit rêveur et mélancolique, jeté dans le monde à une époque d’anarchie et de discordes civiles, troublé de doutes et de terreurs philosophiques à la manière de Pascal et de Boulanger, voyant l’État s’abîmer dans les crimes, et ne sachant où la destinée humaine poussait l’homme ; on avait cru que pour échapper au vertige et ne pas glisser misérablement de ces hauteurs où l’avait emporté sa pensée, il s’était jeté en désespoir sur la solution d’Épicure, s’y attachant avec une sorte de frénésie triomphante, et que de là, dans quelques intervalles de fixité et de repos, il avait voulu enseigner à ses contemporains la loi du monde, la raison de la vie, et leur montrer du doigt le sentier de la sagesse. […] Aussi ne croyez nullement que la traduction de M. de Pongerville retrace en quelque chose son modèle ; c’en est une contrefaçon pâle et fade, vernissée d’une plate et monotone élégance, où l’on ne retrouve rien du nerf logique ni de la poésie étincelante du maître. […] À voir même le soin particulier avec lequel il en efface toutes les indications essentielles, on pourrait croire souvent qu’amusé autour des objets de détail, il n’a pas saisi le mouvement général de la pensée ni les rapports des diverses parties entre elles. […] C’était un droit pour nous d’examiner avec sévérité ses titres ; et comme nous les avons trouvés de faux aloi, et nuls de toute nullité, nous avons cru de notre devoir de le déclarer bien haut, sans réticence, et dans l’intérêt des plus dignes. » 180. […] Nouveaux Lundis, tome X, page 108. — Et à propos de cette même page, à un ami qui lui écrivait : « Cette fois je vous y prends, je crois que vous êtes spinoziste… », Sainte-Beuve répondit : « Je ne me doutais pas de mon spinozisme ; vous m’avez fait relire ma page ; mais savez-vous que le spinozisme est quelque chose de beaucoup trop beau pour moi et de beaucoup trop artificiellement compliqué ?
Je crois ne pouvoir leur rendre un plus grand service, que de leur présenter une Histoire de la littérature française qui s’adresse à tous les esprits cultivés ou désireux de se cultiver, et qui élargisse leur étude en la désintéressant. […] Les mathématiciens, comme j’en connais, que les lettres amusent, et qui vont au théâtre ou prennent un livre pour se récréer, sont plus dans le vrai que ces littérateurs, comme j’en connais aussi, qui ne lisent pas, mais dépouillent, et croient faire assez de convertir en fiches tout l’imprimé dont ils s’emparent. […] Je n’ai pas cru impossible d’écarter toutes les passions du présent, et de goûter en chaque œuvre la puissance individuelle du talent, quelle que fût l’orthodoxie politique, religieuse, métaphysique, et même esthétique, qui s’y révélât. […] Je me suis retranché bien des développements qu’un historien ou un philosophe ne croirait pas pouvoir éviter. […] Lintilhac, j’ai cru nécessaire de fournir une bibliographie sommaire.