Le cérémonial monarchique, en moins de cent ans, avait certes fait du chemin depuis les chasses de Henri IV jusqu’à celles de Louis XIV ; c’est à croire qu’on n’avait plus affaire à la même espèce et à la même nature de monarchie. […] M. de Tessé alla à lui, et voyant qu’il parlait aussi bien espagnol, il crut que c’était un Espagnol effectivement. […] Le roi crut alors la chose impossible, et demanda à M. […] Un jour qu’il est allé masqué au bal de l’Opéra en compagnie du comte de Noailles, il en parle au cardinal et lui dit que c’est M. de Noailles qui, pour dépister les curieux, a fait le rôle du roi et a fort bien joué tout le temps son personnage. « Oui, sire, reprend le cardinal ; mais j’ai ouï dire qu’il avait fait Votre Majesté un peu trop galante. » Le roi piqué fut un moment sans répondre, et il dit ensuite d’un ton sec : « J’en suis content, il n’a fait que ce que je lui ai ordonné. » Et il tourna le dos à son ancien précepteur qui croyait l’être toujours. […] Ayant été averti pour le travail, il donna à Barjac (son valet de chambre) sa clef pour lui ouvrir la porte ; Barjac n’ayant pu en venir à bout, M. le cardinal crut que c’était sa faute et y essaya lui-même ; le bruit fut entendu du cabinet, et l’on vint ouvrir.
Le fait est que la civilisation prêche d’exemple ; elle opère peu à peu ; sans prétendre s’imposer, elle gagne insensiblement, et tous ceux qui sont contemporains, fussent-ils et se crussent-ils de doctrines et de croyances très opposées, la respirent comme l’air et s’en ressentent. […] Je ne saurais croire que les Grecs, par exemple, qui en tout temps s’opposaient d’une manière si tranchée aux Barbares, n’aient pas eu une idée nette et distincte de la civilisation. […] Duveyrier a cru utile d’opposer immédiatement un tableau presque contraire, celui des frais, des sueurs, des risques et périls, des pertes et sacrifices de tout genre que coûte cette grande œuvre : il a tenu à montrer l’envers de la tapisserie, le revers de la médaille, la cuisine du dîner, les coulisses du théâtre. […] Ceux qui n’ont pas connu Condorcet, qui ne l’ont étudié qu’en gros et qui ne le jugent que par son dernier livre et par sa mort, croient qu’il avait en lui cet esprit du sacrifice moderne, ce feu sacré qui se passait d’autel. […] On le croirait vraiment toutes les fois qu’on l’écoute, et c’est le plus bel éloge de lui qu’on puisse faire81.