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242. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

La Bruyère la voit fondée sur la naissance, idolâtre de l’argent, dont il annonce le règne ; les femmes coquettes, menteuses, perfides, êtres d’instinct, meilleures ou pires que les hommes, dominant dans les salons, et y imposant l’esprit l’utile et banal, attirant autour d’elles l’essaim des fats et des ridicules ; les financiers, partis de bas, durs, sans scrupules comme sans pitié, méprisables absolument ; la ville, rentiers, marchands, magistrats, commençant à échanger les fortes vertus bourgeoises pour les airs et les vices de la cour ; la cour, abjection et superbe, férocité et politesse, où le mobile unique est l’intérêt ; les grands, extrait de la cour dont ils manifestent le vice dans sa plus pure et naturelle malice, sans âme, sans esprit, tout à l’orgueil et au plaisir, bien pires que le peuple ; le souverain — mais ici La Bruyère ne voit plus. […] Le roi lui interdit d’aller à Rome se détendre, l’exile dans son diocèse, chasse ses amis de la cour. […] Pendant le procès en cour de Rome, il envoie là-bas le naïf abbé de Chanterac, agent confiant et docile qu’il fait mouvoir de Cambrai, et par qui il lutte contre les intrigues et les emportements de l’abbé Bossuet : il expédie à Rome mémoire sur mémoire, déplaçant la question, éludant les objections, embrouillant tout à force d’expliquer tout, et, sous prétexte d’expliquer, escamotant les doctrines insoutenables pour en substituer d’autres qu’il dérobera bientôt avec une égale aisance ; c’est un polémiste incomparable, perfide, insaisissable. […] La légende de la cruauté brutale de Bossuet, de la douce résignation de Fénelon s’établit ; et quand enfin la cour de Rome ne peut se dispenser de condamner les Maximes des Saints, Fénelon triomphe et à Rome et en France.

243. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

La plus grande fut d’écrire en 1660, sous des masques très légers, l’Histoire amoureuse de deux ou trois dames de la Cour, de prêter à d’autres dames de son intimité ce manuscrit, dont plusieurs copies circulèrent, et qui fut imprimé à l’étranger en 1665. […] Mais je me permettrai de trouver que l’urbanité de Bouhours ne fut jamais que celle d’un homme de collège qui fait le sémillant ; l’urbanité de Pellisson, que celle d’un bourgeois élégant et resté, un peu sur l’étiquette et sur la cérémonie à la Cour ; l’urbanité de Bussy, à son bon moment, était la seule qui sentît tout à fait le courtisan aisé et l’homme du monde. […] En 1681, il put prolonger ce séjour de Paris à volonté ; et en 1682, le 12 avril, le roi lui fit la grâce de le rappeler à la Cour ! […] Je fus huit jours fort content de ma cour, après lesquels je m’aperçus que le roi évitait de me regarder ; lorsque j’eus fait encore deux mois durant de pareilles observations, je voulus éprouver si je ne m’éclaircirais pas davantage en parlant à Sa Majesté. […] Vous pouvez juger, mes enfants, quelle fut ma douleur en cette rencontre ; elle fut telle, que je m’absentai cinq ans de la Cour, ne pouvant supporter les froideurs d’un maître dont le bon accueil avait encore augmenté ma tendresse… Telle était la condition et l’âme du courtisan du temps de Bussy, du temps de Sosie dans l’Amphitryon de Molière.

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