C’est le prince du monde, continue Du Fay, qui a le plus de créance et de fiance en ceux qui le servent, et qui les traverse le moins en leurs charges, lui semblant que depuis qu’il a une fois fait élection de quelqu’un en quelque chose, il lui doit laisser faire son devoir sans l’en empêcher… Et n’y a rien en quoi il fasse gloire de s’en faire croire seul qu’aux principaux coups de la guerre, lorsqu’il se trouve à cheval. […] Pour dernier coup de crayon à ce vivant et naturel portrait tracé d’une main si ferme au milieu du tumulte et en plein orage, Du Fay insiste sur un point qui n’est pas indifférent en un chef de peuple : c’est que Henri IV est heureux, heureux à la guerre, heureux en toute chose. […] Le coup de poignard de Ravaillac ne laissa pas le temps à cette monarchie ainsi faite, s’appuyant d’un nombreux corps de noblesse sédentaire (sauf les cas de guerre), brave et intéressée, adonnée à sa maison des champs et assez protectrice d’ailleurs du tiers état, à cette monarchie tempérée par des parlements, des notables, et surtout par la bonne humeur et une sorte de familiarité du prince, de se dessiner et de former institution. […] Il serait facile de rêver après coup un système de monarchie selon les données fournies par l’histoire de Henri IV, et de déclarer ce système préférable à celui qui a prévalu sous Louis XIV.
Je suis tenté de répéter ici ce que je dis souvent, quand je vois toutes les inventions qu’on fait après coup des hommes que nous avons le mieux connus : « Il faut attendre que nous soyons morts pour nous faire avaler cela. » I. […] — Lorsque, dix-huit ans après, Napoléon, à son retour de l’île d’Elbe, fit appeler Benjamin Constant aux Tuileries (14 avril 1815) et le désigna pour dresser et rédiger l’Acte additionnel, il semble vraiment n’avoir fait que renouer cette relation ancienne, en être tout d’un coup revenu en idée à ce Benjamin Constant antérieur, et avoir mis à néant et en complet oubli quatorze années d’hostilité déclarée et de guerre. […] Mais on le voit, Benjamin Constant, à ce début de sa vie politique, n’était pas nécessairement un opposant ; il ne l’était pas au Directoire, après le coup d’État de fructidor : pourquoi le fut-il au Consulat après le 18 brumaire ? […] De même Benjamin Constant, après cet engagement public et formel, contracté gratuitement et de gaieté de cœur pour plaire à une coquette, enfreint et violé par lui (très raisonnablement d’ailleurs) à un mois d’intervalle, n’en resta pas moins un homme éclairé, un publiciste éloquent, et, je l’admets tout à fait, un citoyen animé de l’amour du bien public, mais il avait porté un coup mortel à sa considération.