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310. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

L’un appuiera son système de la suprématie de la rime sur une assimilation entre le langage et les couleurs, et il fondera sa théorie du comique sur des effets tirés des lois de l’harmonie18. […] Dans Madame Bovary, je n’ai eu que l’idée de rendre un ton, cette couleur de moisissure de l’existence des cloportes. […] Il s’extasie, devant cette scène de mœurs orientales, comme il admirerait le tableau d’un maître, et, sans souci de la souffrance individuelle, il ne voit dans le sang répandu qu’une note claire et brillante au milieu d’un ensemble de couleurs. […] Quand on lit un de leurs romans, on ne sait jamais au juste si l’on est en présence d’un ouvrage de plastique et de couleur, ou d’une peinture de mœurs ou d’une thèse sociale. […] Aussitôt le canevas achevé, ils y appliquaient avec plus ou moins d’adresse un style souvent prodigieux par ses nuances ou ses effets de couleur, mais qui ne fait pas corps avec la trame elle-même, et que l’on sent toujours rapporté.

311. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Si vouloir traduire littéralement et rhythmiquement est chimérique, les curieux ce l’original s’efforceront à entendre l’original ; qu’ils y soient aidés, certes, par une version non musicale enseignant la puissance des mots et reflétant la couleur des phrases : et ils avanceront, plus grandement, dans l’intelligence du poème. […] Les signes de l’art plastique avaient été les sensations visuelles de certaines lignes ou couleurs : la Littérature, art des notions, eut pour signes les mots, sensations d’abord auditives, devenues ensuite visuelles, à leur tour, sous l’usage de l’écriture. […] La peinture a produit les œuvres symphoniques des Vinci et des Rubens, évoquant l’émotion par l’agencement des couleurs et des ligues ; la littérature a produit un art symphonique, la Poésie, évoquant l’émotion par l’agencement musical des rythmes et des syllabes. […] Ainsi que certaines alliances de couleur, pour avoir longtemps accompagné des objets voluptueux ou tristes, étaient enfin devenues aptes à évoquer, indépendamment de ces objets, la volupté ou la tristesse, ainsi certaines syllabes, employées à des mots suggérant l’émotion, étaient devenues les signes directs de cette émotion. […] Ainsi une littérature nouvelle s’est — par les lois même des formes artistiques — constituée avec les procédés de la littérature notionnelle et comme une couleur, aujourd’hui, peut, diversement, évoquer une sensation ou une émotion, les syllabes denos mots sont, ensemble, les signes de notions et d’émotions.

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