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634. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Du Deffand »

Déjà plusieurs éditions, à diverses dates, avaient été faites des lettres de Madame Du Deffand, et toutes plus ou moins incorrectes, mais toutes excitant la curiosité et ne la lassant pas ; car Madame Du Deffand n’est pas un esprit dont on puisse se blaser jamais, quoique ce soit l’esprit le plus blasé qui se soit jamais dégoûté jusque de lui-même, dans un corps qui ait plus vécu… Cette Sévigné du xviiie  siècle, qui ne prenait goût à presque rien, quand celle du xviie trouvait un goût si vif à presque tout, est la réfutation la plus éloquente que je connaisse de la maxime proverbiale qui dit que « les gens les plus ennuyés sont aussi les plus ennuyeux ». […] C’est une raisonneuse dans un petit corps lacé de poupée, que cette duchesse de Choiseul ; une raisonneuse comme le xviiie  siècle en faisait, une affectée dont le bas de soie tirait furieusement sur le bleu, et c’est peut-être la raison pour laquelle elle plaira à ce siècle-ci ; car tous les pédantismes sont plus ou moins chers au xixe  siècle, qui a la fatuité du sérieux, mais pour moi, j’en demande pardon, c’est la raison d’une souveraine déplaisance.

635. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XV. Vauvenargues »

Sans être le vertueux des vertueux et le sage des sages, sans réaliser le type de l’Alcibiade-Zénon que Voltaire avait composé, Vauvenargues, ce malheureux officier du régiment du roi, qui n’avait que la cape et l’épée, et dans sa cape un corps malingre et épuisé, l’emporte, il faut le reconnaître, sur la plupart des hommes de son temps, par la fierté, le calme, la pureté des sentiments, la souffrance noblement supportée. À coup sûr, il n’est pas le stoïque, revêtu des grâces de Platon, de la contrefaçon Voltaire, le juste d’Horace que les ruines frappaient sans émouvoir, même celles de son corps.

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