L’un, épicurien, exagérant trop souvent les excès du dernier du troupeau, au visage enjoué et fleuri, chargé sur la fin de sa vie de tout l’embonpoint qu’il reprochait aux moines, un Démocrite riant de son propre rire ; l’autre, une sorte de stoïcien chrétien, petit et maigre de corps, au visage pâle, exténué, où la vie ne se révélait que dans le regard, représentant l’esprit de discipline jusqu’au point où il devient tyrannie, de même que Rabelais représente l’esprit de liberté jusqu’au point où il devient licence. […] Il donnait d’autant plus d’heures au travail qu’il en donnait moins au soin du corps, et que la destruction du parti des libertins lui avait ôté tout souci du côté de son pouvoir, devenu absolu et incontesté. […] Ainsi se forma le corps de la doctrine calviniste, le Livre-Somme, qui, de 1536 jusqu’à la fin du xviie siècle, fut dans toutes les mains savantes, et qui, au xvie siècle, fut comme le formulaire de toute l’Europe théologique. […] Mélanchthon avait senti l’excellence de cette méthode ; mais il ne l’appliqua pi un corps de discours si serré et si plein, ni à des doctrines qui lui fussent propres. […] Tout vient de sa raison souvent émue par la grandeur des vérités religieuses, souvent trompée par l’intérêt de ce moi qu’il croyait avoir dépouillé, parce qu’il avait réduit son corps aux seuls soins qui pussent empêcher la mort immédiate.
La seconde des qualités fondamentales du corps est l’étendue ; notion qui a été longtemps considérée comme irréductible par l’École intuitive de Reid et de Stewart, mais dont l’analyse psychologique de l’École expérimentale s’est efforcée d’expliquer l’origine. […] Mais le vrai rapport de causalité est entre la totalité des antécédents (constitution particulière du corps, état de santé, état de l’atmosphère, etc.) et la totalité des conséquents (phénomènes qui constituent la mort). […] Leibniz ceux qui seraient tentés de trouver du matérialisme dans ce mode d’explication : « Tout ce que l’ambition fait faire à l’âme de César est aussi représenté dans son corps : il y a un certain état du corps qui répond même aux raisonnements les plus abstraits. » (Édit. […] Il est vrai que Leibniz ne dit pas que cet état du corps en est l’antécédent, ce qui eût été en désaccord avec son harmonie préétablie.