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1330. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

Si l’excitation intérieure continue à croître, l’état de l’âme doit s’exprimer par un phénomène qui lui soit égal en intensité ; alors la parole intérieure vive ne suffit plus ; l’âme a besoin de sensations fortes, de bruit et de mouvement ; la parole extérieure, qui ébranle fortement les nerfs du toucher comme ceux de l’ouïe, jaillit des lèvres ; aux mouvements de la phonation se joignent ceux de la physionomie, des bras, des jambes : on gesticule, on se promène sans but, uniquement pour se sentir vivre, comme si le degré maximum de la sensation était pour l’état mental le plus intense un complément esthétique à l’attrait irrésistible ; l’âme envahie par un sentiment violent ou par une conception vive de l’imagination n’a plus de conscience pour le milieu qui l’entoure ; elle l’oublie, elle l’ignore momentanément, et, avec lui, les convenances, la réserve, les habitudes sociales qu’il impose ; par les sensations qu’elle se donne, elle se crée un milieu artificiel en accord avec le phénomène dominant et exclusif qui la possède ; elle est tout à son rêve ou à sa passion, et ce qui s’est emparé d’elle tout entière est par là même maître absolu du corps comme de l’âme220. Cette prise de possession du corps n’a pas lieu tout d’un coup, mais par degrés. […] Il dit pourtant lui-même que le phénomène socratique était une « erreur de jugement » ; or l’hallucination n’est pas autre chose ; elle consiste essentiellement non pas tant à externer un état de conscience qu’à l’aliéner, et peu importe que l’être imaginaire au profit duquel nous nous dépouillons d’un élément de notre personnalité soit situé par nous dans notre corps ou dans l’espace ambiant. […] Nous ajouterons même que le fait d’avoir remarqué en lui-même une voix, sans l’externer, sans la rattacher à un corps sonore, visible et tangible, fait de Socrate le premier observateur de la parole intérieure ; seulement la psychologie n’a pas profité de son observation, puisqu’il a vu là un fait théologique, au lieu d’un fait psychologique [cf. ch. 

1331. (1904) Essai sur le symbolisme pp. -

Les fonctions organiques du corps social à telle ou telle époque règlent le pouvoir d’absorption et le pouvoir de rayonnement de cette même époque. […] Des effluves d’infini nous baignent d’une ambiance extraterrestre, nous tirent l’être au bord du corps. […] Par les fissures des rocs étranges qui nous gainent, le corps se glisse. […] Il me paraît inutile d’entrer aujourd’hui dans le détail en narrant les phases de cette lutte superbe pour ou contre le hiatus, le sexe des rimes, le nombre régulier des syllabes, la persistance de l’e muet non élidé à l’hémistiche ou dans le corps du vers, les rythmes impairs de plus de douze syllabes.

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