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638. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre quatrième. L’idée du temps, sa genèse et son action »

— Pour le temps comme pour l’espace, on imagine par analogie des indivisibles, des infiniment petits, le point ou le moment mathématiques, après quoi on fait de vains efforts pour reconstruire la réalité continue. […] Mais, évidemment, la réflexion même que nous faisons, en tendant nos muscles, est un état de conscience prolongé, et aussi un état musculaire prolongé, qui continue à nous donner le sentiment interne du temps en l’absence de toutes choses extérieures. […] Plongez-le à chaque instant dans le fleuve du Léthé, ou supposez que, soit par un arrêt de développement cérébral, soit par une lésion cérébrale, l’animal s’oublie sans cesse lui-même à chaque instant : les images continueront de surgir dans sa tête ; il y aura des liens cérébraux entre ces images et certains mouvements parle seul fait que, une première fois, images et mouvements auront coïncidé : l’animal aura donc, à chaque instant, un ensemble de représentations et accomplira un ensemble de mouvements déterminés par des connexions cérébrales, le tout sans la représentation de succession… Cet état, quelque hypothétique qu’il soit, doit ressembler à celui des animaux inférieurs. […] Kant continue : — « Le temps est une représentation nécessaire qui sert de fondement à toutes les intuitions. » Nous nions encore, avec Guyau, cette proposition. […] « Par cette nécessité seule, continue Kant, on fonde a priori la possibilité de principes apodictiques concernant les rapports du temps, ou d’axiomes du temps en général, comme celui-ci : — Le temps n’a qu’une dimension. » Cet axiome, selon nous, n’est que l’expression analytique de notre représentation constante, la traduction d’un fait de conscience sans exception.

639. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre V : Lois de la variabilité »

Mais ce qui nous importe spécialement, c’est que ces mêmes organes qui, chez nos animaux domestiques, subissent actuellement des changements rapides par suite d’une sélection sévère et continue, sont éminemment sujets à des déviations de type. […] Mais, par cette raison même que la variabilité de cet organe exceptionnellement développé a été considérable et qu’elle s’est continuée pendant longtemps à une période relativement récente, on peut s’attendre, en règle générale, à trouver encore actuellement dans cet organe plus de variabilité que dans tous les autres, qui sont demeurés constants depuis une époque beaucoup plus reculée. […] Mais si les espèces ne sont que des variétés mieux marquées et plus fixes, nous pouvons avec certitude nous attendre à voir souvent continuer de varier les parties de leur organisation qui ont déjà varié à une époque encore assez récente, et qui sont venues par cela même à différer chez des espèces proches alliées. […] La sélection naturelle doit donc avoir en ce cas plus à détruire qu’à accumuler ; et il me semble établi par cela même que les caractères de grande utilité, et ceux-là surtout qui présentent le caractère normal d’un développement successif et lent, ont en général pour cause première l’action directe et longtemps continuée des conditions locales ; que ces caractères sont transmis et fixés par l’hérédité qui devient leur cause seconde ; et qu’ils sont accumulés par la sélection naturelle qui n’agit qu’en troisième rang. […] L’une est fondamentale et directe : c’est l’action du milieu ambiant, action toujours actuelle, continuée pendant la série complète des générations successives, et qui comprend comme conséquence l’usage ou le défaut d’exercice des organes, le changement des instincts et des habitudes, la concurrence vitale et ce qui s’ensuit.

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