Charles Baudelaire 21 I S’il n’y avait que du talent dans Les Fleurs du mal 22 de Charles Baudelaire, il y en aurait certainement assez pour fixer l’attention de la Critique et captiver les connaisseurs ; mais dans ce livre difficile à caractériser tout d’abord, et sur lequel notre devoir est d’empêcher toute confusion et toute méprise, il y a bien autre chose que du talent pour remuer les esprits et les passionner… Charles Baudelaire, le traducteur des œuvres complètes d’Edgar Poe, qui a déjà fait connaître à la France le bizarre conteur, et qui va incessamment lui faire connaître le puissant poète dont le conteur était doublé ; Baudelaire, qui, de génie, semble le frère puîné de son cher Edgar Poe, avait déjà éparpillé, çà et là, quelques-unes de ses poésies. […] Un jour même (l’anecdote est connue), Molière le rappela à la marge de son Tartuffe, en regard d’un vers par trop odieux, et Baudelaire a eu la faiblesse… ou la précaution de Molière. […] Seulement, par une inconséquence qui nous touche et dont nous connaissons la cause, il se mêle à ces poésies, imparfaites par là au point de vue absolu de leur auteur, des cris d’âme chrétienne, malade d’infini, qui rompent l’unité de l’œuvre terrible, et que Caligula et Héliogabale n’auraient pas poussés. […] Elle a, au contraire, d’horribles réalités que nous connaissons, et qui dégoûtent trop pour permettre même l’accablante sérénité du mépris. […] Il y a le poète très railleur et presque mystificateur connu sous le nom de Charles Baudelaire, lequel regarde par-dessus le livre l’effet dudit livre sur le bon public.
Les éloges funèbres que nous avons vu établir chez tous les peuples, ne furent connus en France que sur la fin du quatorzième siècle. […] On connaît de lui ce mot employé dans une de nos plus belles tragédies : « Ta religion t’a ordonné de m’assassiner ; la mienne m’ordonne de te pardonner et de te plaindre. » Ce mot, dont on se souvient, est fort au-dessus d’une oraison funèbre qu’on oublie. […] On connaît d’ailleurs ses confréries et ses scandales, et ce mélange bizarre de superstition et de licence, où il trouvait l’art de se déshonorer également par ses vertus et par ses vices. […] On a représenté quelques-unes des époques de sa vie, en bronze et en marbre ; on les a fait servir d’ornement à ces boîtes, invention et amusement du luxe, que le goût et les modes françaises font valoir et distribuent dans l’Europe : le peuple même connaît et bénit sa mémoire. […] Le texte fut : Nominatus est usque ad extrema ; son nom a été connu aux extrémités de la terre.