L’intérêt réel est tout entier dans le sujet même, pleinement et sincèrement compris et aimé, et traité franchement et grassement, si je puis dire. […] L’exposition pourtant a de la beauté et de l’étendue : ……………………………………………………………………… Ces bois, ces lacs, ces monts, ces grands horizons bleus, La grotte aux verts tapis sous les rocs anguleux, Le flot qui dit sa plainte aux saules des rivages, Et les torrents grondant sur des pentes sauvages ; Tout ce qui, dans l’espace, a son bruit ou sa voix, Ce qu’on entend gémir et chanter à la fois, Ce qui verse un parfum, ce qui boit la rosée, Ce qui flotte ou se pose en la nuit embrasée, Fleurs, insectes, oiseaux, ensemble gracieux, La luciole en flamme et l’astre errant aux cieux, J’ai dans mon vaste amour compris toutes ces choses, Ô nature ! […] Les conseils moraux y reviennent toujours, et dans le même sens de l’intérêt bien compris : s’acquérir une bonne renommée parmi les hommes, car la renommée est aussi une déesse, — nous dirions une puissance. […] Vous savez aussi bien que moi ces beaux vers : Felix qui potuit rerum cognoscere causas… Fortunatus et ille deos qui novit agrestes…, ce qu’un de mes amis et qui l’est aussi des Littré, des Renan, et même de Proudhon, je crois, s’est amusé à paraphraser ainsi, à votre intention et presque à votre usage ; et c’est à peu près de la sorte, j’imagine, du moins pour le sens, qu’un Virgile, ou un parfait Virgilien par l’esprit, s’il était venu de nos jours, aurait parlé : « Heureux le sage et le savant qui, vivant au sein de la nature, la comprend et l’embrasse dans son ensemble, dans son universalité ; qui se pose sans s’effrayer toutes ces questions, terribles seulement pour le vulgaire, de fin et de commencement, de destruction et de naissance, de mort et de vie ; qui sait les considérer en face, ces questions à jamais pendantes, sans les résoudre au sens étroit et en se contentant d’observer ; auquel il suffit, dans sa sérénité, de s’être dit une fois que “le mouvement plus que perpétuel de la nature, aidé de la perpétuité du temps, produit, amène à la longue tous les événements, toutes les combinaisons possibles ; que tout finalement s’opère, parce que, dans un temps suffisant et ici ou là, tout à la fin se rencontre, et que, dans la libre étendue des espaces et dans l’infinie succession des mouvements, toute matière est remuée, toute forme donnée, toute figure imprimée40” ; heureux le sage qui, curieux et calme, sans espérance ni crainte, en présence de cette scène immense et toujours nouvelle, observe, étudie et jouit !
Il savait que l’histoire humaine, en ces moments d’ébranlement et de commotion générale et profonde, a, pour ainsi dire, plusieurs dessous, et que le génie d’un seul a suffi bien souvent pour dégager et faire saillir un de ces plans cachés, inaperçus, lesquels, sans un homme, sans le téméraire au coup de main imprévu et vigoureux, auraient toujours paru à la foule (y compris le peuple des gens d’esprit) impraticables, chimériques, et auraient été universellement déclarés impossibles. […] Sans faire le militaire et sans prétendre juger, on peut et l’on doit comprendre. […] Qu’on veuille songer à ce qu’on doit de reconnaissance à celui qui, dans une publication continue de vingt années, nous a initiés à ce degré, tous tant que nous sommes, à l’esprit et au détail politique, administratif, militaire, de la plus grande époque et la plus invoquée dans les entretiens de chaque jour ; qui, sans que nous soyons hommes d’État ni politiques de métier, nous a fait assister, par le dépouillement des pièces les plus secrètes et les plus sûres, aux conseils et aux débats diplomatiques d’où sont sorties les destinées de l’Europe et de la France pendant l’ère la plus mémorable ; qui, sans que nous soyons financiers, nous permet, avec un peu d’attention, de nous rendre compte des belles et simples créations modernes en ce genre ; sans que nous soyons administrateurs, nous montre par le dedans ce que c’est que le mécanisme et les rouages de tout cet ordre civil et social où nous vivons ; sans que nous soyons militaires, nous fait comprendre la série des mouvements les mieux combinés, et par où ils ont réussi, et par où ils ont échoué en venant se briser à des causes morales et générales plus fortes. […] Du reste, je ne parle que du mien, que je crois le plus sérieux qu’il y ait au monde ; et ne pas se proposer la forme simple, c’est n’en comprendre ni la beauté ni la grandeur.