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543. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

Mais c’est le sexe précisément (ne le comprenez-vous pas ?) […] René, qui se flatte si fort de s’être séparé de son célèbre devancier, s’est écrié tout comme lui dans Les Natchez : « C’est toi, Être suprême, source d’amour et de beauté, c’est toi seul qui me créas tel que je suis, et toi seul me peux comprendre ! » Le plus piquant hommage qu’on puisse adresser aux hommes de cette nature et de cette manie, c’est de leur dire : « On vous comprend, on vous connaît, on vous admire ; mais vous avez des pareils, ou du moins des semblables, plus que vous ne le croyez. » Mme de La Tour ne lit pas comme son amie Claire ; elle ne se découragea point. […] Chateaubriand, dans un jugement final, insistant sur le défaut essentiel du caractère, a dit de lui : Qu’un auteur devienne insensé par les vertiges de l’amour-propre ; que toujours en présence de lui-même, ne se perdant jamais de vue, sa vanité finisse par faire une plaie incurable à son cerveau, c’est de toutes les causes de folie celle que je comprends le moins, et à laquelle je puis le moins compatir. Byron, qui n’était pas exempt de ce même mal dont furent diversement atteints Chateaubriand et Rousseau, a mieux daigné y entrer et le comprendre ; les stances qu’il a consacrées, dans Childe-Harold, au peintre de Clarens et à l’amant de Julie, resteront le portrait le plus sympathique et le plus fidèle.

544. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

On n’a jamais mieux compris qu’en lisant les premiers écrits de Fontenelle ce mot de Vauvenargues : « Il faut avoir de l’âme pour avoir du goût. » Fontenelle manque de goût avec tout l’esprit du monde, parce que le cœur et l’âme sont absents et muets en lui, parce que le pectus et l’affectus (comme diraient les anciens) ne lui parlent jamais. […] Mais que l’on comprend bien, après avoir lu cet ouvrage de Fontenelle, les épigrammes de Racine, de Boileau, de Jean-Baptiste Rousseau, sur son compte ! […] Disciple de Descartes en philosophie, mais disciple libre et qui se permettait de juger son maître, il comprit qu’il y avait un rôle à prendre, un milieu à tenir entre les gens du monde et les savants, et que l’esprit, qui, d’un côté, servait à entendre, pouvait servir, de l’autre, à exprimer. […] Rien de plus piquant, rien de plus clair ; on assiste à cette suite d’explications provisoires et illusoires, à cette succession naturelle d’erreurs, et l’on comprend si bien comment l’on a dû dès l’abord y donner et les épuiser toutes, qu’on s’en détache déjà. […] Fontenelle comprend avec son esprit tout ce qui peut être, même quand il ne le sentirait pas.

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