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2042. (1887) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Troisième série pp. 1-326

L’histoire d’une littérature est toujours à refaire, pour toute espèce de raisons : parce que le jugement d’une génération n’engage pas celui de la suivante, et parce que le temps donne aux œuvres qu’il ne détruit pas une signification et une valeur nouvelles ; mais l’histoire littéraire, lentement et par parties, se complète, s’achève, et se fixe pour ne plus changer. […] S’il ne s’agit que d’écrire une Introduction à ses œuvres complètes, il suffit d’y résumer des travaux aujourd’hui classiques. […] Presque toutes les fois, en effet, que la critique s’est expliquée sur Manon Lescaut, comme elle est revenue presque toujours à en louer par-dessus tout le « naturel » et la « vie », on a pu s’imaginer avec une apparence de raison qu’autant que l’on y retrouverait une aventure plus « naturelle » et un roman plus « vécu », d’autant on en ferait un éloge plus complet. […] Rien n’est plus vif, mais rien n’est plus complet ; rien n’est plus fort, mais rien n’est plus simple ; et, ce qui ne laisse pas aussi d’avoir son prix, si rien n’est moins moral, rien cependant n’est plus discret ou même plus chaste, de telle sorte que l’on peut dire, comme de toutes les œuvres qui méritent vraiment d’être appelées classiques, que Manon Lescaut n’est guère moins admirable pour tout ce qui s’y sous-entend que pour tout ce qui s’y dit, et pour tout ce qu’elle ne contient pas que pour ce qu’elle contient en effet.

2043. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre I. Les idées et les œuvres. » pp. 234-333

Le flot montant de la civilisation soulève la masse du peuple jusqu’aux rudiments de l’éducation, et la masse de la bourgeoisie jusqu’à l’éducation complète. […] C’est en France, pays de l’égalité précoce et des révolutions complètes, qu’il faut observer ce nouveau personnage, le plébéien occupé à parvenir : Augereau, fils d’une fruitière ; Marceau, fils d’un procureur ; Murat, fils d’un aubergiste ; Ney, fils d’un tonnelier ; Hoche, ancien sergent, qui le soir dans sa tente lit le Traité des Sensations de Condillac, et surtout ce jeune homme maigre, aux cheveux plats, aux joues creuses, desséché d’ambition, le cœur rempli d’imaginations romanesques et de grandes idées ébauchées, qui, lieutenant sept années durant, a lu deux fois à Valence tout le magasin d’un libraire, qui en ce moment en Italie, ayant la gale, vient de détruire cinq armées avec une troupe de va-nu-pieds héroïques, et rend compte à son gouvernement de ses victoires avec des fautes d’orthographe et de français.

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