André Gide a écrit aussi des drames : Saül, Le Roi Candaule, etc… Ne pouvant être complet, je vous recommanderai particulièrement ses deux volumes de critique : Prétextes et Nouveaux prétextes. […] Ce Lafcadio, élevé dans le luxe et le désordre, maintenant orphelin et pauvre, forme le contraste le plus complet avec Julius et Anthime, lesquels au contraire étaient à peu près de la même qualité morale, bien qu’ils eussent commencé par suivre des voies bien différentes, l’un à droite, l’autre à l’extrême gauche (et voilà qui prouve l’impartialité de M. […] C’est le désastre complet pour l’infortuné pasteur, dont le sort inspire une immense pitié. […] Il n’a donc pas besoin d’une bibliothèque complète et méthodique : écrivant par humeur, il peut bien lire de même, comme voyageait Barrès, et repousser tout ce qui l’ennuie ou le heurte.
Or l’idée moderne, la méthode moderne revient essentiellement à ceci : étant donnée une œuvre, étant donné un texte, comment le connaissons-nous ; commençons par ne point saisir le texte ; surtout gardons-nous bien de porter la main sur le texte ; et d’y jeter les yeux ; cela, c’est la fin ; si jamais on y arrive ; commençons par le commencement, ou plutôt, car il faut être complet, commençons par le commencement du commencement ; le commencement du commencement, c’est, dans l’immense, dans la mouvante, dans l’universelle, dans la totale réalité très exactement le point de connaissance ayant quelque rapport au texte qui est le plus éloigné du texte ; que si même on peut commencer par un point de connaissance totalement étranger au texte, absolument incommunicable, pour de là passer par le chemin le plus long possible au point de connaissance ayant quelque rapport au texte qui est le plus éloigné du texte, alors nous obtenons le couronnement même de la méthode scientifique, nous fabriquons un chef-d’œuvre de l’esprit moderne ; et tant plus le point de départ du commencement du commencement du travail sera éloigné, si possible étranger, tant plus l’acheminement sera venu de loin, et bizarre ; — de tant plus nous serons des scientifiques, des historiens, et des savants modernes. […] Au terme des évolutions successives, si l’univers est jamais ramené à un seul être absolu, cet être sera la vie complète de tous ; il renouvellera en lui la vie des êtres disparus, ou, si l’on aime mieux, en son sein revivront tous ceux qui ont été. […] Si telle est vraiment l’atteinte obtenue par les théories particulières, quelle ne sera pas la totale atteinte obtenue par la conclusion, où se ramassent et culminent toutes les ambitions des théories particulières ; je ne puis citer les théories particulières ; il faudrait remonter de la fin du volume au commencement, il faudrait citer presque tout le volume ; je cite au long la conclusion ; pourquoi n’éprouvons-nous que de l’indifférence quand nous découpons notre exemplaire de Taine, et pourquoi ne pouvons-nous découper sans regret notre exemplaire de Renan ; ce n’est point, comme le dirait un historien des réalités économiques, parce que les Renan coûtent sept cinquante en librairie et parce que les Taine, chez Hachette, ne coûtent que trois francs cinquante ; et pourquoi, découpant du Renan, recevons-nous une impression de mutilation que nous ne recevons pas découpant du Taine ; c’est que, malgré tout, un livre de Taine est pour nous un volume, et qu’un livre de Renan est pour nous plus qu’un livre ; et pourquoi ne peut-on pas copier du Taine, et peut-on copier du Renan, en se trompant, il est vrai ; et pourquoi est-ce un bon plaisir que de corriger sur épreuves un texte de Renan, et se fait-on un devoir de [corriger sur épreuves un texte de Taine ; telle est la différence que je vois entre les héritages laissés par ces deux grands maîtres de la pensée moderne. « J’ai voulu montrer », dit Taine en forme de conclusion : « J’ai voulu montrer la formation complète d’une œuvre poétique et chercher par un exemple en quoi consiste le beau et comment il naît. […] L’artiste seul prend cette promenade pour domaine, la prend tout entière, et se trouve muni, pour la reproduire, d’instruments que nul ne possède ; en sorte que sa copie est la plus fidèle, en même temps qu’elle est la plus complète.