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519. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. IXe et Xe volumes »

Chez lui, cette portion de notre histoire politique, jusqu’à présent si ténébreuse et si compliquée, s’éclaircit, se dénoue d’elle-même ; tout y devient simple et lucide ; ici encore on sent l’historien qui est toujours placé au cœur de son sujet, c’est-à-dire au cœur de la France. […] Les passions ne s’éteignent qu’avec les cœurs dans lesquels elles s’allumèrent. […] Veut-il, quand il trouve des cœurs sourds à ses avis, employer la force, on le déclare tyrannique, on dit qu’à la faiblesse il joint la méchanceté. […] « Elle n’est pas venue, dit-il : elle viendra. » Espérons-le avec lui : il est de ceux qui ont le plus droit de la promettre ; car il la sert, il en hâte le triomphe ; et certes, lorsqu’à la lecture de son livre nous voyons ce que nos pères ont souffert pour elle, et que nous sentons en nos cœurs ce que nous serions prêts à souffrir nous-mêmes, quand il nous semble qu’à travers les larmes, le sang et d’innombrables douleurs, tout a été préparé par une providence attentive pour son mystérieux enfantement, nous ne pouvons imaginer que tant de mal ait été dépensé en pure perte, que tant de souffrances aient été vainement offertes en sacrifice ; et dût-il nous en rester encore quelque part à subir, nous croyons plus fermement que jamais au salut de la France.

520. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Roger de Beauvoir »

ce qu’a souffert, et dans son corps et dans son âme, un des plus brillants jeunes gens du siècle, qui s’appelait Roger comme celui qui, dans l’Arioste, monte l’Hippogriffe, — qui le montait aussi, et qui le menait comme il le voulait dans le bleu, et qu’en voilà descendu maintenant, cloué par la douleur à terre, et comme Byron, leur maître à tous, à ces grands jeunes gens finis, le disait de lui-même ; « achevant de vivre à son foyer désert, au milieu des ruines de son cœur et dans l’abandon de ses dieux domestiques… » III Telle est, en effet, la destinée de Roger de Beauvoir. […] Et ce n’est pas le front radieux devenu pensif, la lèvre rieuse devenue souriante, qui pensent et chantent tant de vers comme ceux-ci : Le cœur, lys éternel, fleurit dans tous les temps ; Le bonheur est un dieu qui vaut bien le printemps !… Et la rose du soir sur tant de folles têtes… ce n’est pas, enfin, Un cœur blessé, quand il fut tendre Un fou tué sous son esprit, qui peut jamais être cette grotesque gargouille de Scarron, qui vomissait l’esprit comme les gargouilles des toits vomissent l’eau sale ! […] Et puis, il avait, pour lui mettre son manteau sur les épaules et de la ouate autour du cœur, les deux belles mains dévouées de celle qui fut un jour digne de les poser, ses belles mains, dans la main couvre-empire de Louis XIV ! […] Sa Muse d’alors, je la comparai à une Madeleine qui n’avait encore que les yeux sur le Crucifix, et je lui promis que si elle s’y couchait le cœur tout entier, il deviendrait, lui, le Canova de la poésie du xixe  siècle.

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