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1635. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

Cagliostro, à cette époque, n’avait guère que trente-deux ans : sa physionomie expressive et brillante colorait l’impudence sous des airs inspirés et sous les effusions de la philanthropie à la mode ; il semblait aller fouiller dans le cœur les secrets de chacun, et promettre en retour toutes les félicités et les merveilles. […] Et il insiste sur ce que ce n’est point là le spectacle et la décoration des montagnes centrales, de ces hauteurs désolées et de ces déserts, où l’œil ne rencontre plus rien qui le rassure ; où l’oreille ne saisit pas un son qui appartienne à la vie ; où la pensée ne trouve plus un objet de méditation qui ne l’accable ; où l’imagination s’épouvante à l’approche des idées d’immensité et d’éternité qui s’emparent d’elle ; où les souvenirs de la terre habitée expirent ; où un sombre sentiment fait craindre qu’elle-même ne soit rien… Ici l’on n’est pas hors du monde ; on le domine, on l’observe : la demeure des hommes est encore sous les yeux, leurs agitations sont encore dans la mémoire ; et le cœur fatigué, s’épanouissant à peine, frémit encore des restes de l’ébranlement. […] Mais, encore une fois, il aurait fallu entendre Ramond s’expliquer à cœur ouvert sur toute cette affaire et sur les faits tels qu’il les appréciait en définitive, pour être en mesure de prononcer.

1636. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — III » pp. 90-104

Messieurs mes compagnons, quand vous vous trouverez en telles noces, prenez vos beaux accoutrements, parez-vous, lavez-vous la face de vin grec, et la faites devenir rouge ; et marchez ainsi bravement parmi la ville et parmi les soldats, la care levée (la face levée), ne tenant jamais autre propos sinon que bientôt, avec l’aide de Dieu et la force de vos bras et de vos armes, vous aurez en dépit d’eux la vie de vos ennemis, et non eux la vôtre… Mais si vous allez avec un visage pâle, ne parlant à personne, triste, mélancolique et pensif, quand toute la ville et tous les soldats auraient cœur de lions, vous le leur ferez venir de moutons. […] Or, sachez que ce meilleur cheval de Montluc, qu’il eût donné de tout son cœur pour avoir l’hymne des dames siennoises en l’honneur de la France, était un cheval turc dont il a dit « qu’il l’aimait, après ses enfants, plus que chose du monde, car il lui avait sauvé la vie ou la prison trois fois. » Je n’ai pas à entrer dans le détail du siège ; il me suffit d’en avoir signalé le caractère et de donner envie aux curieux de rechercher les pages qui y sont consacrées14. […] Lui-même, âgé de moins de soixante ans, il avait au cœur un reste de vigueur et d’ardeur dévorante qu’il ne sut plus comment dépenser, et qui en vint bientôt à s’exaspérer odieusement et à se dénaturer dans ces luttes intestines.

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