/ 2930
635. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

Sans dire positivement qu’il fût un malhonnête homme, sans trancher ici la question restée indécise des derniers couplets, on peut affirmer que ce fut un cœur bas, un caractère louche, tracassier, né pour la domesticité des grands seigneurs ; avec cela, nul génie, peu d’esprit, tout en métier. […] Boutet, on remarque un grand étalage de principes religieux, moraux, et un caractère anti-philosophique très-prononcé. […] L’ode politique n’a aucun caractère dans Rousseau : il en partage la faute avec les événements et les hommes qu’il célèbre. […] Le caractère de la magicienne est aussi celui d’une Circé ou d’une Médée d’opéra ; elle ne ressemble pas même à Calypso, et ne sort pas des fadaises et des frénésies dont Quinault a donné recette. […] Sa correspondance durant ce temps d’exil avec Rollin, Racine fils, Brossette, M. de Chauvelin et le baron de Breteuil, a des parties qui recommandent son goût et qui tendent à relever son caractère.

636. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

De l’amour de la gloire De toutes les passions dont le cœur humain est susceptible, il n’en est point qui ait un caractère aussi imposant que l’amour de la gloire ; on peut trouver la trace de ses mouvements dans la nature primitive de l’homme, mais ce n’est qu’au milieu de la société que ce sentiment acquiert sa véritable force. […] Ceux qui sous un tel ordre de choses sont nés dans la classe privilégiée, ont à quelques égards beaucoup de données utiles ; mais d’abord la chance des talents se resserre, et à proportion du nombre, et plus encore, par l’espèce de négligence qu’inspirent de certains avantages ; mais quand le génie élève celui que les rangs de la monarchie avaient déjà séparé du reste de ses concitoyens, indépendamment des obstacles communs à tous, il en est qui sont personnels à cette situation ; des rivaux en plus petit nombre, des rivaux qui se croient vos égaux à plusieurs égards, se pressent davantage autour de vous, et lorsqu’on veut les écarter, rien n’est plus difficile que de savoir jusqu’à quel point il faut se livrer à la popularité, en jouissant de distinctions impopulaires ; il est presqu’impossible de connaître toujours avec certitude le degré d’empressement qu’il faut montrer à l’opinion générale : certaine de sa toute puissance, elle en a la pudeur, et veut du respect sans flatterie ; la reconnaissance lui plaît, mais elle se dégoûte de la servitude, et rassasiée de souveraineté, elle aime le caractère indépendant et fier, qui la fait douter un moment de son autorité pour lui en renouveler la jouissance : ces difficultés générales redoublent pour le noble, qui dans une monarchie veut obtenir une gloire véritable ; s’il dédaigne la popularité, il est haï : un plébéien dans un État démocratique, peut obtenir l’admiration en bravant la popularité ; mais si un noble adopte une telle conduite dans un État monarchique, au lieu de se donner l’éclat du courage, il ne ferait croire qu’à son orgueil ; et si, cependant, pour éviter ce blâme, il recherche la popularité, il est sans cesse près du soupçon ou du ridicule. […] Il y a dans tous les caractères des défauts qui jadis étaient découverts, ou par le flambeau de l’histoire, ou par un très petit nombre de philosophes contemporains que le mouvement général n’avait point enivrés ; aujourd’hui celui qui veut se distinguer est en guerre avec l’amour-propre de tous ; on le menace du niveau à chaque pas qui l’élève, et la masse des hommes éclairés prend une sorte d’orgueil actif, destructeur des succès individuels. […] Toutes les passions, sans doute, ont des caractères communs, mais aucune ne laisse après elle autant de douleurs que les revers de la gloire ; il n’y a rien d’absolu pour l’homme dans la nature, il ne juge que parce qu’il compare ; la douleur physique même est soumise à cette loi : ce qu’il y a de plus violent dans le plaisir ou dans la douleur est donc causé par le contraste ; et quelle opposition plus terrible que la possession ou la perte de la gloire ! […] L’un des caractères de ce long malheur est de finir par s’accuser soi-même : tant qu’on en est encore aux reproches que méritent les autres, l’âme peut sortir d’elle-même, mais le repentir concentre toutes les pensées, et dans ce genre de douleur, le volcan se referme pour consumer en dedans.

/ 2930