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1254. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

Veut-il, dans une lettre à une de ses cousines, lui donner une idée agréablement ironique du rôle important qu’ils remplissent aux yeux des Américains, son ami M. de Beaumont et lui, en leur qualité de chargés d’une mission du Gouvernement français pour cette grave affaire du régime des prisons ; il a une raillerie douce, insinuante, à l’usage de la bonne compagnie ; prêtez l’oreille et écoutez : « Vous savez déjà en gros, sans doute, ma chère cousine, écrit-il à Mme de Grancey, les détails de notre voyage : nous avons été parfaitement reçus dans ce pays-ci, et si bien que nous nous trouvons quelquefois dans la même position que cette duchesse (de la fabrique de Napoléon) qui, s’entendant annoncer à la porte d’un salon, croyait qu’il s’agissait d’une autre, et se retirait de côté pour se laisser passer. […] Je vous avouerai, du reste, que la gloire a son mauvais côté ; le système pénitentiaire étant notre industrie, il nous faut, bon gré, mal gré, l’exploiter tous les jours ; en vain cherchons-nous à nous en défendre, chacun trouve moyen de nous glisser une petite phrase aimable sur les prisons. […] De l’autre côté du Mississipi, au contraire, se trouvent de magnifiques contrées, où le gibier n’a jamais été troublé par le bruit de la hache du pionnier ; où les Européens ne parviendront jamais.

1255. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres de Virgile »

Situé entre la colline et le fleuve, il était enveloppé d’un côté par des roches que les pluies avaient mises à nu et qu’aucune végétation ne recouvrait, de l’autre par le marécage que formaient les inondations du Mincio, et où le jonc tenait la place de l’herbe. […] Au chant XX de l’Iliade, chant terrible et sublime où Jupiter déchaîne les dieux, leur donne toute licence de se mêler aux guerriers et de les protéger selon leurs prédilections et leurs caprices, sauf à lui de rester assis en spectateur au sommet de l’Olympe, dans ce chant XX où bouillonne toute l’âme de l’Iliade, Achille à la colère duquel Neptune vient de soustraire Énée, Achille exaspéré exhale sa fureur en menaces ; il parle de tout massacrer, et de son côté Hector essaye de rassurer les Troyens, et d’une voix puissante il les exhorte à marcher contre Achille : « Achille, s’écrie-t-il, ne mettra pas à effet toutes ses paroles. […] Achille, de son côté, fait de même et se précipite au milieu des Troyens, frappant à droite et à gauche ; — nous y voici : « Il frappe d’abord Iphition, le vaillant fils d’Otrynte, chef de peuples nombreux, que la nymphe Néis avait engendré au valeureux Otrynte, au pied du Tmolus neigeux, dans le gras pays d’Hyda. » Achille le pourfend et s’écrie : « Gis ici, fils d’Otrynte, le plus effrayant des hommes, c’est ici qu’est ton trépas ; et ta naissance est au bord du lac Gygée, où est ton domaine paternel, près de l’Hyllus poissonneux et du tournoyant Hermus. » Nous avons là un exemple de la beauté homérique dans toute son étendue et son expansion : elle est volontiers éparse et non concise.

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