Surtout elle ne prenait pas, comme la pensée élégiaque, les langueurs de la traversée pour le but de ses espérances. […] Vivre, puisqu’il le faut, de la vie de tous, subir les hasards, les nécessités du grand chemin, y recueillir les enseignements qui s’offrent, y fournir au besoin sa tâche de pionnier ; puis se dédoubler soi-même, et dans une part plus secrète réserver ce qui ne doit pas tarir ; l’employer, l’entretenir, s’il se peut, à l’amour, à la religion, à la poésie ; cultiver surtout sa faculté de concevoir, de sentir et d’admirer : n’est-ce pas là une manière d’aller décemment ici-bas, après même que le but grandiose a disparu, et de supporter la défaite de sa première espérance ? […] Elle est un poëte si instinctif, si tendre, si éploré, si prompt à toutes les larmes et à tous les transports, si brisé et battu par tous les vents, si inspiré par l’âme seule, si étranger aux écoles et à l’art, qu’il est impossible près d’elle de ne pas considérer la poésie comme indépendante de tout but, comme un simple don de pleurer, de s’écrier, de se plaindre, d’envelopper de mélodie sa souffrance.
Dans cette voie si périlleuse de la biographie contemporaine, il a su éviter les écueils de plus d’un genre, et atteindre le but qu’il s’était proposé : de la loyauté, de l’indépendance, aucune passion dénigrante, de bonnes informations, la vie publique racontée avec intelligence et avec bon sens, la vie privée touchée avec tact, ce sont là des mérites dont il a eu l’occasion de faire preuve bien des fois en les appliquant à une si grande variété de noms célèbres tant en France qu’à l’étranger ; cela compense ce que sa manière laisse à désirer peut-être au point de vue purement littéraire, et ce qui doit manquer aussi à ses jugements en qualité originale, car l’étendue même de son cadre lui impose un éclectisme mitigé. […] Nous avons, dans ce but, comme souligné ou articulé plus fortement au passage les endroits qui nous semblaient tenir à quelque veine secrète, faisant exactement ce qu’on pratique en anatomie, lorsqu’on injecte quelque petit vaisseau pour le rendre plus saillant et le soumettre à l’étude. […] On travaille à séparer le plus qu’on peut les sciences et les lettres de tout ce qui tient à la politique et à toute espèce d’idée d’organisation sociale : je ne dis rien sur ce système ; mais on agit ensuite comme si ce but était déjà atteint, et on protége les lettres, comme si elles étaient déjà dans ce bienheureux état d’indépendance de toutes les agitations humaines.