Les états où l’humanité n’eut d’autres statuts que les édits d’un despotisme héréditaire, ou que les lois d’un honneur chimérique, honneur étranger au bien de la patrie ; ces états, dis-je, n’ayant plus, durant ces renversements de tout ordre, ni soumission, ni fidélité aux serments, ni vraie noblesse d’âme, n’offrent qu’un spectacle de dissolution affligeante, parce que, également privés du repos de l’esclavage et du bonheur de la liberté, ils n’ont, en effet, plus de mœurs qui les caractérisent, et ne sont plus qu’un informe assemblage auquel on ne peut plus donner le titre de nation ni républicaine ni monarchique. […] Il paraît que la triste catastrophe, qui le finit, est un perfectionnement qui rend l’épisode de Virgile préférable à celui d’Homère ; car les autres poètes qui les ont imités l’un et l’autre, ont dénoué de pareils incidents, non par le bonheur comme le chantre grec, mais par le malheur comme le chantre latin. […] Addison même, en son éloge raisonné de Milton, objecte au reproche qu’on lui fait, que les consolantes espérances de salut données au triste Adam par la voix de l’ange qui le bannit, équivalent au bonheur après son châtiment ; et que les supplices auxquels est livré le tentateur puni de son triomphe, tendent encore à l’heureux dénouement de ce poème. […] À la vérité, les trois antiques épopées, qui semblent avoir servi de types à toutes les autres, se terminent par le bonheur : mais de beaux poèmes, dignes aussi de devenir des modèles, n’ont d’autre conclusion que le malheur. […] Je crois avoir eu plus de bonheur en l’essayant.
Samedi 5 janvier À regarder l’eau-forte d’un crépuscule (Sunset in Tipperary) de Seymour Haden, cette eau-forte, où existe peut-être le plus beau noir velouté, que depuis le commencement du monde, ait obtenu une pointe d’aquafortiste, à la regarder, dis-je, ce noir fait, au fond de moi, un bonheur intérieur, une petite ivresse, semblable à celle que ferait naître chez un mélomane, un morceau de piano d’un grand musicien, joué par le plus fort exécutant de la terre. […] Il s’étend sur son bonheur dans la solitude, sur sa maison éloignée de toute habitation, où la nuit, au milieu de ses trois chiens couchant dans trois pièces, il a un espèce de frisson peureux agréable, au grognement trois fois répété, annonçant un passant sur la route.