Après les besoins du corps qui ont rassemblé les hommes pour lutter contre la nature, leur mère commune et leur infatigable ennemie, rien ne les rapproche davantage et ne les serre plus étroitement que les besoins de l’âme. […] Ou il rapportera toute la connaissance humaine aux principales facultés de notre entendement, comme nous l’avons pratiqué dans l’Encyclopédie, rangeant tous les faits sous la mémoire ; toutes les sciences sous la raison ; tous les arts d’imitation sous l’imagination ; tous les arts mécaniques sous nos besoins ou sous nos plaisirs ; mais cette vue qui est vaste et grande, excellente dans une exposition générale de nos travaux, serait insensée si on l’appliquait aux leçons d’une école, où tout se réduirait à quatre professeurs et à quatre classes : un maître d’histoire, un maître de raison, une classe d’imitation, une autre de besoin.
L’éloquence dans les livres est à peu près comme la musique sur le papier, muette, nulle, et sans vie ; elle y perd du moins sa plus grande force ; et elle a besoin de l’action pour se déployer. […] La seule différence entre l’homme ordinaire et le grand homme, c’est que le dernier a trouvé ce sentiment dans son âme, et que l’autre aurait eu besoin qu’on le lui suggérât. […] Mais, dira-t-on, si l’éloquence proprement dite, celle qui se propose de nous remuer par de grands objets, a si peu besoin des règles de l’élocution, si elle ne doit avoir d’autre expression que celle qui est dictée par la nature ; pourquoi donc les anciens, dans leurs écrits sur l’éloquence, ont-ils donné tant de règles de l’élocution oratoire ? […] Ainsi (ce qui semblera paradoxe, sans en être moins vrai) les règles de l’élocution ne sont nécessaires que pour les morceaux qui ne sont pas proprement éloquents, et où la nature a besoin de l’art.