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38. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — II » pp. 454-475

jusque-là il attend. […] Il prédit, il dessine à l’avance un futur rival romantique de Racine et de Corneille ; nous aussi nous le croyons possible, mais nous l’attendons toujours : Les tragédies de Corneille, de Racine, de Voltaire (en nommant Voltaire à côté des précédents, il paie tribut au siècle) semblent devoir durer éternellement ; mais si un homme de génie donnait plus de mouvement à ses drames, s’il agrandissait la scène, mettait en action la plupart des choses qui ne sont qu’en récit, s’il cessait de s’assujettir à l’unité de lieu, ce qui ne serait pas aussi choquant que cela paraît devoir l’être, ces hommes auraient un jour dans cet auteur un rival dangereux pour leur gloire. […] Ce Saint-Alban, dont la vie s’est passée dans un cercle de plaisirs et d’émotions agréables, est décidé à ne pas attendre que la Révolution vienne le prendre au collet, et l’atteignant dans sa personne le soumettre à une série d’épreuves cruelles et de tortures : il porte toujours sur lui un poison subtil pour s’y soustraire à temps. […] Je n’en citerai que quelques pensées qui donnent le fin fond du cœur de M. de Meilhan, et dont celles qui concernent l’amitié devaient faire entre lui et Mme de Créqui le sujet de contradictions assez vives : Chacun doit s’empresser de faire aux autres le bien que comportent ses facultés, sans attendre de reconnaissance, et sans mettre dans ses actes de bienfaisance rien de passionné qui puisse compromettre le repos. […] [NdA] En voici la dernière, qui résume le système avec une rare énergie : « À mesure que l’on vieillit, il faut se concentrer davantage dans soi-même, se réduire au bonheur sensuel, et restreindre ses rapports avec les autres, parce qu’on n’en peut attendre que des marques du mépris inné dans le cœur de l’homme pour tout ce qui décèle l’impuissance, et que la vieillesse est la plus grande des impuissances. » al.

39. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Il était déjà en vue de la ville quand un coup de vent repousse le vaisseau de la côte d’Afrique, l’emporte en quelques heures à bien des lieues, de l’autre côté de la Sardaigne, en face de Cagliari, et quelques jours se passent à attendre le vent et à regagner le chemin perdu. […] Le peintre aussi se réveille ; sans plus attendre, et à la vue de cette population africaine grouillante, la verve le prend, la besogne commence : «  Si Delaroche était là il que de belles choses il verrait par ma fenêtre seulement ! […] Certes, j’étais loin de m’attendre à des sensations si différentes dans un si court espace de temps, et cependant je n’étais pas au bout. […] Il y en a un surtout qui (je ne puis attendre pour te le raconter) a manqué te valoir une petite fille à élever. […] C’est justement parce qu’il n’y a pas de doute sur le malheureux sort qui l’attend, que je voulais la prendre.

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