Ce qui doit nous donner de l’indulgence pour d’Antin, dans ce métier avoué qui en lui-même n’a rien de bien honorable, c’est qu’insensiblement, et en même temps que son intérêt l’y attache, il y met son amitié, son affection, son cœur, et qu’aussi il ne fait jamais sa cour avec malignité ni aux dépens des autres. […] Mais que l’on ne puisse jamais espérer de plaire et de mériter la moindre part dans l’amitié de quelqu’un à qui vous êtes attaché uniquement, que vous servez avec dévouement, auprès duquel vous passez votre vie entière dans un abandon total de vous-même, et occupé jour et nuit de ce qui peut lui être plus agréable ; en vérité, c’est un état trop douloureux pour les gens qui ont le malheur d’avoir le cœur sensible. […] On a raconté aussi que plus tard, dans un séjour de Louis XIV à Fontainebleau, le roi ayant blâmé un bois qui masquait la vue, la même scène se renouvela avec quelque variante : peu de jours après l’observation du roi, d’Antin, alors directeur des Bâtiments, avait préparé avec art son coup de théâtre : il avait fait scier tous les arbres près de la racine ; des cordes étaient attachées aux troncs, et toute une armée de bûcherons invisibles attendait en silence. […] Mais le naturel est plus fort : d’Antin n’en tire qu’un motif de plus de s’attacher, s’il se peut, davantage au roi par une assiduité dont on ne citerait « que peu d’exemples ». […] Il était de ceux que les maîtres qui se succèdent tiennent à s’attacher, car ce sont de ces acteurs rares et soumis qui remplissent parfaitement les rôles secondaires, et dont les aptitudes et les capacités, dans leur juste mesure, se dirigent à tout.
Il s’était attaché d’abord à étudier les écrivains français que la Réformation a produits au xvie siècle, et qui relevaient plus ou moins de Genève ; mais aujourd’hui il sort de ce point de vue qui avait son uniformité un peu triste et sa particularité trop exclusive : son coup d’œil se porte avec plus de liberté et d’étendue sur tout ce qui a parlé ou écrit en français avec quelque distinction en dehors de la France. […] Quand j’ai nommé Montaigne, ce ne peut être que dans un sens : l’auteur des Essais s’est attaché à rendre la philosophie, de sévère et farouche qu’elle était, accessible à tous et riante ; François de Sales fait la même chose pour la dévotion : il la veut rendre domestique, familière et populaire. […] Il s’attache aux mondains, il les amorce, il les apprivoise par le talent d’images et de similitudes dont la nature l’a doué ; il met force sucre et force miel au bord du vase. […] On est forcé, quand on cite du saint François de Sales, de retrancher bien des nuances et des finesses qui sont le plus délicat de la pensée : « Ce sont des choses si minces, si simples et délicates, disait-il lui-même en en supprimant plus d’une, que l’on ne les peut dire quand elles sont passées. » Il suffit ici que nous nous attachions au gros de l’arbre et à la principale branche. […] Il conseille à chacun de s’attacher à quelque vertu en particulier, à celle dont il a le plus besoin, sans pour cela abandonner les autres, pensant qu’il y a un lien entre elles toutes, et qu’elles se polissent et s’affilent en quelque sorte l’une l’autre.