Quand M. de Tocqueville parle de l’égalité des conditions, il en parle comme d’un fait accompli, définitif, arrêté, dont il faut chercher les conséquences, mais qui en lui-même n’est plus un problème et laisse l’imagination humaine en repos. […] L’esprit, qui n’est plus arrêté comme dans le temps des castes par des faits sacrés, traditionnels, et par les obstacles de toute nature que le hasard et la coutume avaient mis entre les hommes, l’esprit, qui a contracté l’habitude de pousser chaque principe à ses dernières conséquences, s’indigne d’autant plus de tout ce qui semble faire résistance à ses théories. […] Dans sa jeunesse, Tocqueville avait douté ; mais il s’était arrêté dans le doute, et son esprit, curieux surtout des choses politiques, semble avoir mis en réserve les vérités révélées pour s’exercer en toute liberté sur le reste.
Un autre exemple : Je marche sur la route ; un homme qui vient vers moi m’arrête et me touchant le bras, me dit : « Vous ne passerez pas par ce chemin. » Naturellement, mon premier acte est de m’opposer à cette volonté extérieure et de dire : « Je prendrai le chemin qu’il me plaira de prendre. » Aucun de nous, à moins d’être timide de tempérament ou trop faible de nature, ne pourrait agir autrement. Mais si l’homme qui vous arrête vous dit ; « Vous ne passerez pas par ce chemin parce qu’il est mauvais, qu’il est rempli de pierres et de fondrières, en un mot très dangereux », voilà qui est tout autre chose ! […] Quand nous voyons un enfant approcher naïvement la main d’un charbon rouge, nous saisissons le bras de l’enfant pour arrêter son geste, sans l’ombre d’une hésitation, d’un élan de libre sympathie, en obéissant à la plus nette, à la plus positive impulsion.