Ce sont, en les prenant au mieux, de vastes âmes déployées à tous les vents, mais sans une ancre quand elles s’arrêtent, sans boussole quand elles marchent. […] Les Réflexions sur l’État de l’Église, qui furent imprimées un an après, en 1808, mais que la police de Bonaparte arrêta aussitôt, appartiennent au contraire à la lutte hardie de l’apôtre avec le siècle, et en sont comme le premier défi. […] Ils semblent avoir ignoré que le monde aujourd’hui est travaillé de l’insurmontable besoin d’un ordre nouveau qu’il s’efforce de réaliser sans le connaître ; qu’on n’arrête point le mouvement progressif de la société, qu’on le dirige tout au plus, et que dès lors il faut, sous peine de mort, que le Gouvernement se décide entre les principes qui s’excluent.
Ils montent par degrés, parcourent les intervalles et ne s’élancent pas au but du premier bond ; leur génie grandit avec le temps et s’édifie comme un palais auquel on ajouterait chaque année une assise ; ils ont de longues heures de réflexion et de silence durant lesquelles ils s’arrêtent pour réviser leur plan et délibérer : aussi l’édifice, si jamais il se termine, est-il d’une conception savante, noble, lucide, admirable, d’une harmonie qui d’abord saisit l’œil, et d’une exécution achevée. […] — Je suis à Versailles, du côté du jardin, et je monte le grand escalier ; l’haleine me manque au milieu et je m’arrête ; mais du moins je vois de là en face de moi la ligne du château, ses ailes, et j’en apprécie déjà la régularité, tandis que si je gravis sur les bords du Rhin quelque sentier tournant qui grimpe à un donjon gothique, et que je m’arrête d’épuisement à mi-côte, il pourra se faire qu’un mouvement de terrain, un arbre, un buisson, me dérobe la vue tout entière22.