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482. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — II » pp. 316-336

En revanche, Rohan se plaît fort à célébrer une action héroïque de sept soldats de Foix qui, s’enfermant dans une bicoque auprès de Carlat, arrêtèrent le maréchal et toute son armée deux jours entiers, et, après lui avoir tué plus de quarante hommes, se sauvèrent au nombre de quatre ; trois sur les sept, trois proches parents, voulurent demeurer et se sacrifier, parce que l’un était blessé et hors d’état de sortir : « Ainsi les quatre autres, dit Rohan, à la sollicitation de ceux-ci et à la faveur de la nuit, après s’être embrassés, se sauvent, et ces trois-ci se mettent à la porte, chargent leurs arquebuses, attendent patiemment la venue du jour, et reçoivent courageusement les ennemis, desquels en ayant tué plusieurs, meurent libres. » Ce sont là les seuls éclairs du récit chez Rohan, qui voudrait bien assurer aux noms de ces braves soldats une immortalité dont il n’est pas le dispensateur : il fallait de certains échos particuliers, et qui ne se retrouvent pas deux fois, pour nous renvoyer les glorieux noms qui ont illustré les Thermopyles. […] Tandis que Richelieu, déjà fort de la confiance de Louis XIII, préparait son grand dessein européen, l’abaissement de l’Espagne et de la maison d’Autriche, pour lequel il comptait se servir d’une nouvelle alliance étroite avec l’Angleterre, il se voit donc arrêté tout court par cette levée de boucliers à l’intérieur, qui coupe en deux le royaume : Cette révolte, dit-il énergiquement, venait si à contretemps au roi en cette saison où il avait tant d’affaires au dehors, que la plupart de ceux de son conseil étaient si éperdus, que tantôt ils voulaient qu’on fît une paix honteuse avec l’Espagne, tantôt qu’on accordât aux huguenots plus qu’ils ne demandaient. […] En conseillant au roi de faire impérieusement, et même avec menaces (s’il en était besoin), ces demandes assez singulières à ses alliés protestants pour battre ses sujets protestants, le cardinal, à qui son tact présageait qu’on obtiendrait tout, savait bien pourtant qu’il se mettait en grand hasard auprès du maître si l’on essuyait un refus : Qui se fût considéré lui-même, dit-il dans un sentiment de généreux orgueil, n’eût peut-être pas pris ce chemin qui, étant le meilleur pour les affaires, n’était pas le plus sûr pour ceux qui les traitaient ; mais sachant que la première condition de celui qui a part au gouvernement des États est de se donner du tout au public et ne penser pas à soi-même, on passa par-dessus toutes considérations qui pouvaient arrêter, aimant mieux se perdre que manquer à aucune chose nécessaire pour sauver l’État, duquel on peut dire que les procédures basses et lâches des ministres passés avaient changé et terni toute la face.

483. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Merlin de Thionville et la Chartreuse du Val-Saint-Pierre. »

C’est un des caractères de Merlin, on l’a remarqué, de n’avoir jamais cédé qu’au mouvement de sa propre passion, de s’être arrêté là où elle s’arrêtait, sans jamais servir d’instrument à celle des autres. […] Une fois, sortant de l’église au petit jour, à la file des chartreux, avec dom Ignace qui reconduisait chez moi sans mot dire, je remarquai que le mur en pierre de taille sur lequel s’ouvraient les cellules était usé d’une manière sensible à la hauteur des bras, et que les dalles du pavé étaient creusées uniformément comme les chemins battus par les bœufs ; j’arrêtai dom Ignace et lui demandai si ces traces n’étaient pas l’effet du passage quotidien des religieux : par un simple mouvement de tête, il me répondit affirmativement.

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