Rien de plus commun que d’entendre, sans hésiter, Homère et Virgile, et que d’être arrêté à chaque phrase dans Thucydide ou Tacite. […] Les langues grecque et latine ont aussi de particulier, que telle est leur flexibilité, et conséquemment la variété de style de ceux qui les ont écrites, que celui qui possède parfaitement son Homère, n’entend presque rien de Sophocle, et moins encore de Pindare, et que celui qui lit couramment Ovide et Virgile, est arrêté à chaque ligne de Pline le naturaliste, ou de l’historien Tacite. […] Un écolier aura à rendre cette expression, maison Cornélienne, qu’après avoir cherche dans son Dictionnaire le mot maison, entre les différentes traductions de ce mot, il s’arrête au mot domus ; son travail de recherche lui aura été fort peu utile : rien ne le choquera dans la phrase où il insérera ce mot, rien ne l’avertira du ridicule de son choix ; comment, avant de savoir le latin, s’apercevra-t-il de la bizarrerie d’une phrase latine de sa composition ?
» Roederer, qui, sans être proprement un idéologue, était très au fait et assez imbu des doctrines philosophiques courantes, rappela alors au général plusieurs points, d’ailleurs incontestables : que les signes des idées abstraites et des modes mixtes sont nécessaires pour les arrêter, pour les enregistrer dans notre tête et pour nous donner les moyens de les comparer, etc., etc. […] Quand il s’agit de nommer des consuls définitifs et qu’on eut arrêté le premier choix de Cambacérès, Roederer, qui pouvait avoir des espérances pour la troisième place, dut les perdre lorsqu’un jour Bonaparte, en le voyant entrer, lui dit comme pour répondre à sa pensée : « Citoyen Roederer, vous avez des ennemis. » — « Je les ai bien mérités, répondit-il, et je m’en félicite. » Et il fut, l’instant d’après, le plus vif à recommander à la désignation du premier consul le nom considéré de Lebrun59.