Sitôt qu’elle est apparue à un esprit supérieur, elle cesse de lui appartenir ; il faut qu’il la rende incontinent au public, appropriée à l’intelligence de tous, et à peine signée, en un coin, du nom de l’inventeur.
On a plaisir à relire le commentaire, d’une sincérité si touchante et en même temps d’une si charmante naïveté, écrit par le maître liégeois lui-même80, et qui commence ainsi : « on n’a peut-être pas remarqué combien de fois l’air de la romance est entendu dans le courant de la pièce, soit en entier ou en partie … » et finit par cette phrase : « il était aisé de fatiguer les spectateurs, en répétant si souvent le même air sans doute il fallait présenter cet air sous autant de formes différentes, pour oser le répéter si souvent ; cependant, je n’ai pas entendu dire qu’il fût trop répété, parce que le public a senti que cet air était le pivot sur lequel tournait toute la pièce. » En remarquant les différentes modifications de la Mélodie-mère, présentée tantôt en entier, tantôt en partie, tantôt derrière la scène, même sans accompagnement, et surtout les derniers mots de cette citation, vous seriez tenté de dire qu’il n’aurait fallu qu’un pas de plus (mais le pas décisif, définitif réservé à l’auteur de Lohengrin), pour que le véritable Leitmotiv, destiné à n’apparaître sur la scène qu’en 1865 (Tristan) fît déjà son entrée dans la musique dramatique en 1784.