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1322. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

XXII On est saisi tout à coup d’une certaine terreur inattendue en se voyant si près de ces cimes du haut Jura ; elles semblent former devant vous un rempart confus de hauteurs inaccessibles, à travers lesquelles il faut s’engager, sans apercevoir par quelle brèche ou par quelle poterne on pourra les aborder et les franchir. […] C’est la lueur de cette lampe nocturne, aperçue des villageois et des bergers de la montagne, qui faisait dire à ces pauvres gens, dans leurs veillées, ce que disent les paysans d’Allemagne allant à l’église pendant la nuit de Noël, en passant sous la tour de Faust : « Que fait donc notre jeune maître à cette heure dans sa chambre haute, seul ainsi toute la nuit avec les esprits, pendant que la cloche sonne et que le peuple chante en chœur à l’église : le Christ est ressuscité ? 

1323. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (1re partie) » pp. 305-364

C’est ainsi enfin qu’un homme, de bien plus de talent vrai que tous ces faux monnayeurs de ce qu’ils appellent l’idée, et de bien plus de style que tous ces frappeurs de mensonges à l’effigie de la vérité ; c’est ainsi que Victor Hugo, jeté sur son île solitaire, et à qui les latitudes de l’espace, la liberté de l’étendue, la complaisance du vide, les ondulations de l’Océan, les orages, les bruits, les écumes, les senteurs âpres des vagues ont porté à la tête, agrandi les horizons, creusé les aperçus, donné souvent le sublime, quelquefois le vertige, attendri l’âme jusqu’à la sensibilité maladive du mal universel, et fait du cœur d’un poète le grand muscle sympathique universel de l’humanité souffrante ; c’est ainsi, disons-nous en fermant ce livre, que notre ami a pleuré ses larmes de colère sur son Patmos de l’Océan, et que ce saint Jean du peuple a cru écrire pour le peuple en écrivant en réalité contre lui ! […] La bergère s’en aperçoit trop tard, lance le chien après les chevreaux pour les ramener dans ses limites ; les gardes, aux ordres de leur chef, se découvrent, tirent sur le troupeau, tuent les chevreaux, cassent une jambe au petit chien, atteignent de grains de plomb égarés les vêtements et le cou de la jeune fille.

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