Les changements d’instincts peuvent être surtout rendus faciles, lorsque les mêmes espèces ont des instincts très différents à différentes époques de la vie, selon les saisons de l’année, ou lorsqu’elles se trouvent placées en des circonstances différentes. […] Ces Fourmis sont dans la dépendance absolue des services de leurs esclaves au point que, sans leur aide, l’espèce s’éteindrait certainement tout entière dans une seule année. […] Pendant les mois de juin et de juillet de trois années consécutives, je suis souvent demeuré durant de longues heures à observer plusieurs fourmilières, dans les comtés de Surrey et de Sussex, sans jamais voir une seule esclave entrer dans le nid ou en sortir. Comme, à cette époque de l’année, il n’y en a que très peu dans les nids, je pensai qu’elles se conduisaient peut-être autrement quand il y en avait un plus grand nombre ; mais M. […] Nous connaissons des différences corrélatives, non seulement à l’un des sexes exclusivement, mais encore à cette courte période de la vie ou de l’année pendant laquelle le système reproducteur est actif : tel est le plumage nuptial de beaucoup d’oiseaux, et tel est encore le crochet de la mâchoire du Saumon mâle.
La mémoire, c’est la lampe du soir de la vie : quand la nuit tombe autour de nous, quand les beaux soleils du printemps et de l’été se sont couchés derrière un horizon chargé de nuages, l’homme rallume en lui cette lampe nocturne de la mémoire ; il la porte d’une main tremblante tout autour des années aujourd’hui sombres qui composèrent son existence ; il en promène pieusement la lueur sur tous les jours, sur tous les lieux, sur tous les objets qui furent les dates de ses félicités du cœur ou de l’esprit dans de meilleurs temps, et il se console de vivre encore par le bonheur d’avoir vécu. […] C’était dans l’été de l’année 1844, une de ces années pleines et triples de ma vie, où les hivers étaient remplis par la politique et la tribune, les printemps par la poésie et l’agriculture, les automnes par des voyages, beaux coups d’aile vers l’Orient, vers les Pyrénées, vers les Alpes, vers les îles de Naples, vers l’Adriatique et vers Venise. […] En 1848, j’en avais conservé soixante des plus beaux, comme une réserve de paix et d’obscurité pour les jours d’été ; cette année, j’ai été contraint de sacrifier le reste à la nécessité, plus exigeante encore.