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310. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

Ce que nous sommes, en tant qu’animal, elles nous l’apprendront peut-être ! […] Bayle, autrefois, ou Taine de nos jours, ont essayé de la fonder sur la perversité naturelle de l’homme, et conséquemment sur l’obligation de réfréner, de dompter, d’anéantir en nous les impulsions de l’instinct animal : c’est une idée chrétienne, si c’est le dogme même du péché « originel ». […] Nous dominerons les animaux venimeux quand nous saurons réprimer les haines, les jalousies et les médisances. […] Mais quand tous nos instincts seraient en nous d’origine purement animale, — ce que d’ailleurs on peut refuser absolument d’admettre, — ils ne laisseraient pas de différer étrangement d’eux-mêmes, depuis six mille ans que l’objet de la civilisation a été de nous soustraire aux servitudes de la nature. […] Et cela veut dire enfin qu’indépendamment des obligations de ne pas faire, il y en a pour nous d’agir, dont la première est de travailler à détruire en nous la racine de l’égoïsme, qui est notre attache animale à la vie… Mais je ne traite pas ici la « question sociale », et il me suffit d’avoir indiqué ce que l’on veut dire quand on la transforme en une question morale.

311. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre I. De la sélection des images, pour la représentation. Le rôle du corps »

Il est démenti par l’examen, même le plus superficiel, de la structure du système nerveux dans la série animale. […] En même temps, l’animal réagit par des mouvements plus variés à l’excitation extérieure. […] Mais si le système nerveux est construit, d’un bout à l’autre de la série animale, en vue d’une action de moins en moins nécessaire, ne faut-il pas penser que la perception, dont le progrès se règle sur le sien, est tout entière orientée, elle aussi, vers l’action, non vers la connaissance pure ? […] Mais à mesure que la réaction devient plus incertaine, qu’elle laisse plus de place à l’hésitation, à mesure aussi s’accroît la distance à laquelle se fait sentir sur l’animal l’action de l’objet qui l’intéresse. […] Sectionnez le nerf optique d’un animal ; l’ébranlement parti du point lumineux ne se transmet plus au cerveau et de là aux nerfs moteurs ; le fil qui reliait l’objet extérieur aux mécanismes moteurs de l’animal en englobant le nerf optique est rompu : la perception visuelle est donc devenue impuissante, et dans cette impuissance consiste précisément l’inconscience.

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