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656. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Poésies complètes de Théodore de Banville » pp. 69-85

Mais au milieu de ces oublis trop naturels à la jeunesse de tous les temps, ils avaient une pensée, un culte, l’amour de l’art, la curiosité passionnée d’une expression vive, d’un tour neuf, d’une image choisie, d’une rime brillante ; ils voulaient à chacun de leurs cadres un clou d’or : enfants si vous le voulez, mais enfants des muses, et qui ne sacrifièrent jamais à la grâce vulgaire. […] Ce poète, à travers tous les caprices de son imagination et de sa muse, ne s’est jamais relâché sur de certains points ; il a gardé, au milieu de ses autres licences, la précision du bien faire, et, comme il dit, l’amour du vert laurier. […] J’ai parlé d’art grec : est-il rien qui le rappelle et le représente plus heureusement que ce conseil donné à un sculpteur de se choisir des sujets calmes et gracieusement sévères, comme des hors-d’œuvre à son ciseau, dans les intervalles de la verve et de l’ivresse : Sculpteur, cherche avec soin, en attendant l’extase, Un marbre sans défaut pour en faire un beau vase : Cherche longtemps sa forme, et n’y retrace pas D’amours mystérieux ni de divins combats. […] C’est le même rythme dont on a dit : « Ce petit vers masculin de quatre syllabes, qui tombe à la fin de chaque stance, produit à la longue une impression mélancolique ; c’est comme un son de cloche funèbre. » Chez M. de Banville, l’impression de cette mélancolie ne va pas jusqu’au funèbre, et elle s’arrête à la douceur regrettée des pures et premières amours ; elle n’est, en quelque sorte, que le son de la cloche du village natal, et elle va rejoindre dans ma pensée l’écho de la romance de M. de Chateaubriand. […] Ô mes amours d’enfance !

657. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Chants du crépuscule (1835) »

De ce nombre, la belle pièce xiii sur les suicides multipliés, plusieurs pièces d’amour qui sont de véritables élégies, xxi, xxiv, xxv, xxvii, surtout la vingt-neuvième, qui commence par ces vers : Puisque nos heures sont remplies De trouble et de calamités ; Puisque les choses que tu lies Se détachent de tous côtés… Cette dernière est, selon nous, d’une beauté de mélancolie, d’une profondeur rêveuse et d’une tendresse de cœur à laquelle n’avait pas atteint jusqu’ici le poëte. […] Eh bien, ni le ciel ni la terre ensemble ne valent l’amour » (grande description de l’amour). […] L’autre endroit que je voudrais corriger est celui où l’auteur montre la cloche et l’âme chantant et sonnant à la voix du Seigneur, quelles que soient les souillures contractées ; le passage finit par ce vers : Chante, l’amour au cœur et le blasphème au front. J’aimerais mieux : Chante, l’amour au cœur et la couronne au front ; car, du moment que le chant part et s’élance, plus de blasphème !

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