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607. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre I. La tragédie de Jodelle à Corneille »

Et le développement de cette action, la suspension pathétique du dénouement vient de ce que chacun des deux amants trouve en lui-même un sentiment qui l’oblige à défaire ou retarder son bonheur, et de ce que chacun d’eux trouve aussi dans l’autre un sentiment qui s’oppose à sa volonté : chez tous les deux, la piété filiale combat l’amour ; et le devoir parle à Rodrigue quand Chimène n’a encore qu’à suivre son amour, à Chimène quand Rodrigue peut de nouveau écouter son amour. […] Car si cette dévotion de l’amour et cette exaltation de l’honneur sont réellement espagnoles, elles ne le sont pas pourtant exclusivement ; et c’est vraiment en tout pays qu’on peut voir deux volontés, éprises d’amour, éprises aussi d’honneur, subordonner l’amour à l’honneur par respect pour cet amour même, et se rendre dignes du bonheur en le refusant.

608. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Ayant à parler du sentiment de la pitié, il le définira admirablement : La pitié n’est qu’un sentiment mêlé de tristesse et d’amour ; je ne pense pas qu’elle ait besoin d’être excitée par un retour sur nous-même, comme on croit. […] Remettant en honneur les dons naturels et les affections primitives, et leur laissant leur libre jeu, il s’oppose à l’excès de raisonnement et d’analyse qui voudrait tout réduire à un amour de soi égoïste et cupide : « Le corps a ses grâces, l’esprit ses talents : le cœur n’aurait-il que des vices ? […] S’il y a un amour de nous-même naturellement officieux et compatissant, et un autre amour-propre sans humanité, sans équité, sans bornes, sans raison, faut-il les confondre ? […] » Vauvenargues était des plus sensibles à l’amitié, et il y a porté des délicatesses et des tendresses qu’il semblait avoir dérobées à l’amour. […] Ce qu’il aimait dans la jeunesse, c’était le naturel, la pudeur, les grâces déjà sérieuses, la modestie unie à une honnête confiance, l’amour de la vertu.

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