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550. (1885) L’Art romantique

Ç’a été, je crois, une des grandes préoccupations de sa vie, de dissimuler les colères de son cœur et de n’avoir pas l’air d’un homme de génie. […] La foule est son domaine, comme l’air est celui de l’oiseau, comme l’eau celui du poisson. […] Un régiment passe, qui va peut-être au bout du monde, jetant dans l’air des boulevards ses fanfares entraînantes et légères comme l’espérance ; et voilà que l’œil de M.  […] Tantôt, nous voyons se promener nonchalamment dans les allées des jardins publics, d’élégantes familles, les femmes se traînant avec un air tranquille au bras de leurs maris, dont l’air solide et satisfait révèle une fortune faite et le contentement de soi-même. […] Enfin nous sommes replacés sur la terre ; nous en aspirons l’air frais, nous en acceptons les joies avec reconnaissance, les douleurs avec humilité.

551. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

Un soir qu’il avait par hasard entendu un opéra à Feydeau, et qu’il s’en retournait lentement vers son réduit à la clarté d’une belle lune de mars, la fraîcheur de l’air, la sérénité du ciel, la teinte frémissante des objets, et les derniers échos d’harmonie qui vibraient à son oreille, agirent ensemble sur son âme, et il se surprit murmurant des plaintes cadencées qui ressemblaient à des vers. […] Voici comment vous aimiez, c’est-à-dire comment vous chantiez votre premier air : c’était chaste, par conséquent amoureux, car là, la chasteté n’est que le respect de ce qu’on aime. […] Ce ne sont que chansons, clameurs, rixes d’ivrogne, Ou qu’amours en plein air, et baisers sans vergogne,                  Et publiques faveurs ; Je rentre : sur ma route on se presse, on se rue ; Toute la nuit j’entends se traîner dans ma rue                  Et hurler les buveurs. […] Cependant, convenons-en, l’usage exclusif et prolongé d’une certaine espèce de poésie n’est pas sans quelque péril pour l’âme ; à force de refoulement intérieur et de nourriture subtile, la blessure à moitié fermée pourrait se rouvrir : il faut par instants à l’homme le mouvement et l’air du dehors ; il lui faut autour de lui des objets où se poser ; et quel convalescent surtout n’a besoin d’un bras d’ami qui le soutienne dans sa promenade et le conduise sur la terrasse au soleil ? […] Je vous écrivis en effet alors une épître en vers, qui exprimait très mal mes pensées, qui me donnait un air protecteur de critique, tandis qu’au fond de l’âme j’étais ému et enthousiasmé d’amitié et d’admiration.

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