J’ai consacré à écrire l’histoire trente années de ma vie, et je dirai que, même en venant au milieu des affaires publiques, je ne me séparais jamais de mon art, pour ainsi dire. […] Quoique les spectacles auxquels j’ai assisté m’aient peu surpris, je n’ai pas la prétention de croire que l’expérience des hommes et des affaires n’eût rien à m’apprendre ; j’ai la confiance, au contraire, d’avoir beaucoup appris, et d’être ainsi plus apte, peut-être, à saisir et à exposer les grandes choses que nos pères ont faites pendant ces temps héroïques. […] Le véritable mérite transcendant de cet écrivain ne se révèle qu’au point où commencent les grandes affaires, les grandes négociations, les grandes guerres. Aucun historien ancien ou moderne n’a si bien exposé les affaires, si bien démêlé les négociations, si bien compris les campagnes. […] Le premier Consul, qui ne laissait à personne le droit d’avoir un avis sur les affaires de guerre ou de diplomatie, ne l’employait qu’à négocier avec les ministres étrangers, d’après ses propres volontés, ce que M. de Talleyrand faisait avec un art qu’on ne surpassera jamais.
D’une part, il s’en était tenu aux généralités, aux rapports du prince avec les sujets, laissant les affaires à ceux qui en avaient le maniement, et n’en disputant pas quand il n’avait pas qualité pour en décider. […] Fénelon va bien au-delà des devoirs de l’évêque et des droits du spéculatif ; il fait des plans de gouvernement, et il donne des avis sur la conduite ; il décide à la fois dans la théorie et dans les affaires. […] Être l’oracle lui était tourné en habitude, dont sa condamnation et ses suites n’avaient pu lui faire rien rabattre ; il voulait gouverner en maître qui ne rend raison à personne, régner directement, de plain-pied159. » Je reconnais là, pour mon compte, le contradicteur de Bossuet dans l’affaire du quiétisme. […] Fénelon a fait un grand nombre de mémoires politiques : sur quelle partie des affaires, sur quel événement n’en a-t-il pas fait ? […] Il le fit participer aux affaires, il l’arracha aux préjugés de son éducation, « pour lui faire voir les hommes, dit Saint-Simon, les lui faire étudier, entretenir, sans se livrer à eux, lui apprendre à parler avec force et à acquérir une autorité douce. » Il lui ôta peu à peu ces vaines délicatesses et ces doutes serviles de lui-même où l’avait élevé Fénelon, et il l’eût rendu digne de réparer les malheurs de sa vieillesse et les fautes de sa trop longue vie.