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307. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

Mais nous plaignons surtout les hommes dont le goût poétique n’a vu, comme celui de Voltaire, qu’un sauvage ivre dans le seul rival que les temps modernes puissent présenter aux grands tragiques grecs. […] Depuis Rabelais jusqu’à Voltaire, tous n’ont obtenu le privilège de manquer impunément de respect aux grandes choses qu’en se faisant les humbles courtisans des personnes les moins respectables. […] Rousseau et Voltaire sont très dissemblables par le style, qu’ils ont chacun leur manière personnelle. […] Tout homme cultivé distingue à première vue un passage de Corneille, de Racine, de Molière ou de Boileau ; mais tous ceux qui ont fait des vers au dix-huitième siècle les ont faits les uns comme les autres, les ont faits comme Voltaire, et Voltaire lui-même les a faits comme tout le monde. […] C’est ce qui est arrivé, en effet ; depuis Voltaire jusqu’aux grands poètes contemporains qui ont renouvelé la langue, il n’y a pas eu dans le style la moindre puissance d’imagination et de poésie.

308. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre (2e partie) » pp. 5-80

Rousseau ; tantôt il essaye de procéder de Voltaire, mais sans atteindre à l’atticisme du sarcasme voltairien ; tantôt il ne procède que de lui-même, et c’est alors qu’il est le plus admirable d’improvisation et d’éjaculation de ses idées. […] Il révoque avec raison en doute, comme Platon, comme Aristote, comme Cicéron, comme Voltaire, ce dogme, démenti par tous les monuments de l’histoire, d’on ne sait quel progrès indéfini, progrès qui depuis des siècles n’ajoute ni un cheveu à l’homme physique, ni une vertu à l’homme moral. […] Solidité, éclat, propriété, mouvement, images, souplesse, hardiesse, originalité, onction, brusquerie même, il a toutes les qualités de la parole qui sait se faire écouter ; et seul peut-être de son siècle, même en y comprenant Voltaire, il n’imite rien ni personne ; il est le gentilhomme du Danube de son temps. […] Pour caractériser ce style il faut trois noms : Bossuet, Voltaire, Pascal : Bossuet pour l’élévation, Voltaire pour le sarcasme, Pascal pour la profondeur. […] Il veut faire rire, et il était créé pour faire penser ; il marche, en un mot, entre Voltaire et Pascal, mais plus près de Pascal.

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