Avant-Propos Dans un précédent volume, portant le même titre que celui-ci, j’ai étudié les philosophes politiques qui, de 1800 à 1840 environ, ont analysé l’âme de ce pays et ont essayé de se rendre compte de ses tendances ; qui, frappés du développement de l’Individualisme sous ses deux formes parallèles et contradictoires, à savoir libéralisme et démocratisme, ont, tous, chacun avec sa conception particulière et sa méthode propre, essayé, soit de lutter contre l’une et l’autre de ces deux formes du même sentiment (De Maistre et De Bonald), soit de s’appuyer sur l’instinct de liberté pour réprimer ou endiguer l’instinct démocratique (Staël, Constant, Royer-Collard, Guizot). J’ai indiqué pourquoi et comment ils avaient échoué les uns et les autres dans leurs tentatives, et ce qui est resté, toutefois, et d’intéressant et de profitable, de leurs travaux et de leur effort. Je groupe dans le volume actuel les esprits beaucoup plus hardis, beaucoup plus généreux, beaucoup plus chimériques peut-être, les uns du reste plus grands, les autres plus petits que les précédents, qui, plus détachés de l’esprit du xviiie siècle, auquel tous ceux que je nommais tout à l’heure, si anti-voltairiens qu’ils fussent, étaient cependant attachés encore ; allant aussi beaucoup plus au fond des choses ; comprenant le problème beaucoup mieux dans toute son étendue, ou le sentant beaucoup plus dans toute sa gravité ; ont eu cette idée que l’expansion de l’individualisme avait pour cause la disparition du pouvoir spirituel, qu’un pouvoir spirituel est nécessaire aux hommes, et qu’il fallait soit en restaurer un, soit en créer un nouveau. Et ceux qui ont cru qu’il fallait en créer un nouveau sont, de toute évidence, absolument différents des penseurs que j’ai étudiés dans le premier volume de ces Etudes. Mais ceux qui ont cru seulement qu’il fallait en restaurer un, ne se rapprochent-ils point des de Bonald et des de Maistre ?
[Dédicace] A Monsieur le Professeur César Lombroso à Turin Cher et honoré Maître, Je vous dédie ce livre, pour reconnaître bien haut et avec joie que sans vos travaux il n’aurait jamais pu être écrit. La notion de la dégénérescence, introduite d’abord par Morel dans la science, développée par vous avec génie, s’est, entre vos mains, déjà montrée extrêmement féconde dans les directions les plus diverses. Vous avez répandu sur de nombreux chapitres obscurs de la psychiatrie, du droit criminel, de la politique et de la sociologie, un véritable flot de lumière que seuls n’ont point perçu ceux qui se bouchent les yeux par entêtement ou qui ont la vue trop obtuse pour tirer profit d’une clarté quelconque. Mais il est un vaste et important domaine où ni vous ni vos disciples n’avez encore porté jusqu’ici le flambeau de votre méthode : le domaine de l’art et de la littérature. Les dégénérés ne sont pas toujours des criminels, des prostitués, des anarchistes ou des fous déclarés ; ils sont maintes fois des écrivains et des artistes.