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181. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

Jadis Molière osa risquer son chef-d’œuvre du Misanthrope sur une scène accoutumée aux bouffonneries, aux farces, aux quiproquo des intrigues espagnoles ; Racine ne craignait pas d’exposer son admirable tragédie de Britannicus sur un théâtre où les absurdités et les aventures romanesques étaient en possession de plaire : ces écrivains, assez grands pour envisager la postérité, sacrifiaient à la perfection de l’art la gloire du moment. […] La meilleure comédie de Molière et de Regnard, la plus belle tragédie de Corneille et de Racine, ne plaît pas autant au commun des spectateurs qu’un drame bien merveilleux, bien déchirant, bien lugubre. […] L’auteur de L’École des mères n’est aussi qu’un demi-Molière : décence, esprit, raison, délicatesse, convenance, on trouve tout chez lui, hors cette verve originale et cette vigueur de pinceau qui rend Molière inimitable. […] Molière avait depuis longtemps jeté du ridicule sur l’autorité des maris et sur les devoirs les plus essentiels des femmes : tous les poètes comiques, tous les faiseurs de contes avaient, dès l’origine de notre théâtre et de notre littérature, choisi pour but de leurs sarcasmes et de leurs facéties les infidélités mutuelles des époux et les tribulations du mariage.

182. (1905) Études et portraits. Portraits d’écrivains‌ et notes d’esthétique‌. Tome I.

Connaisseur intuitif de la nature de l’homme, il possédait le don comique à la Molière, et ce don, qui lui a permis une si pittoresque invention de tant de termes, lui permettait de se représenter exactement l’âme la plus opposée à la sienne, celle d’un Montaigne, par exemple, d’un épicurien délicatement endormi, sur le mol oreiller de l’indifférence. […] Même Molière, ainsi que l’attestent les Précieuses, le premier acte du Misanthrope et la Critique de l’Ecole des Femmes, professait une doctrine qui le rattachait à une école. […] La preuve en est dans Molière et dans George Sand elle-même. […] La Bruyère et La Rochefoucauld, Molière et Racine attestent que l’âge classique a eu ses psychologues, et de premier ordre. […] L’impeccable Boileau a consacré à Molière dans son Art poétique, des vers qui nous étonnent aujourd’hui ; il a gardé le silence sur le divin La Fontaine, et parlé de Ronsard avec une inintelligence singulière du génie lyrique.

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