Se détachant du même groupe d’érudits, collaborateurs tous les deux d’Olivetan dans la traduction de la Bible, Calvin s’en alla écrire le livre de la Réforme française, et Despériers quatre petits dialogues. obscurs et railleurs, où l’on entrevoyait ces choses graves : que la foi consiste à affirmer ce qu’on ne sait pas, et que nul ne sait ; que les théologiens ressemblent à des enfants « sinon quand ils viennent à se battre » ; que Luther ni Bucer ne changeront le train du monde, et qu’après comme avant eux, mêmes misères seront, et mêmes abus ; que toute la puissance de Dieu est dans le livre, entendez que le livre, c’est-à-dire l’homme, a fait Dieu ; que les petits oiseaux montrent aux nonnes les leçons de Nature : que toutes les Eglises et tous les dogmes ne sont qu’imposture et charlatanisme ; que les réformateurs sont en crédit par la nouveauté ; que leur œuvre, quoi qu’ils en aient, rendra chacun juge de sa foi. […] Un christianisme platonicien, qui semble retenir « le souverain plasmateur Dieu » comme efficace surtout pour liquider d’un coup tout l’embarras métaphysique, et qui, pour une raison analogue, éloigne toute précision de dogme : solution moyenne qui fait une religion d’honnêtes gens, pressés d’aviser à la pratique, et qui a bien l’air d’être le fond du spiritualisme français. […] Avec le Dieu créateur, une vie future, qui soit la compensation de celle-ci, et satisfasse à notre appétit de justice et d’égalité par le renversement de tous les rôles. Le Dieu tout bon et tout-puissant s’exprime dans la nature, toute bonne aussi et toute-puissante.
Et le voilà qui « tombe » Dieu et les dieux dans des vers d’un athéisme carnavalesque et forain. […] Pas de Dieu, pas de loi morale, pas même de lois physiques : ce qu’on appelle ainsi, ce sont les habitudes des choses (ce qui revient d’ailleurs au même) : tout est gouverné par le hasard ; la Raison même, la Nature et le Progrès sont des idoles qu’il faut renverser comme les autres. […] qui donc ne croit pas en Dieu ? […] Ne pas croire en Dieu, c’est nier le mystère de la vie et de l’univers et le mystère des instincts impérieux qui nous font placer le but de la vie en dehors de nous-mêmes et plus haut ; c’est nier le plaisir que nous fait cette chose insensée qui est la vertu ; c’est nier le frisson qui nous prend devant « le silence éternel des espaces infinis » ou le gonflement du cœur par les soirs d’automne, et la langueur des désirs indéterminés ; c’est déclarer que tout dans notre destinée et dans les choses est clair comme eau de roche et qu’il n’y a rien, mais rien du tout, à expliquer. […] Mais, Dieu me pardonne !