Mais si, au lieu de lire ou de relire, nous traduisons, nous déchiffrons, si nous nous attachons à comprendre un texte ou subtil ou profond, et nouveau pour nous, ou bien un texte écrit dans une langue étrangère, alors les mots paraissent devancer les idées ; nous nous trouvons dans la situation de l’homme qui écoute la parole d’autrui ; nous écoutons notre parole intérieure, nous la comprenons ensuite si nous pouvons ; le mot appelle la pensée ; l’idée suit et interprète le mot. Or ce qui est aujourd’hui notre langage usuel a commencé par nous être étranger ; nous avons appris lentement notre langue maternelle ; et les pensées qui ne sont plus pour notre esprit exercé ni subtiles ni profondes paraîtraient telles à un enfant. […] Mais, lorsque nous inventons avec effort, la plupart du temps la pensée nous apparaît avant son expression, et cette succession est encore plus évidente quand nous cherchons à exprimer notre pensée dans une langue étrangère, ou quand nous innovons dans la nôtre soit par des néologismes proprement dits, soit par des alliances de mots imprévues.
Je ne le crois pas, à moins que l’on ne donne à ces mots une signification étrangère à ma pensée. […] La vérité vous est étrangère, vous dis-je. […] Celui qui considère à priori tous les hommes nés en dehors des frontières de son pays, comme des ennemis ou des « étrangers », qui ne les voit pas d’un œil simplement humain, se renie lui-même et redescend aux degrés de l’animalité.