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245. (1890) L’avenir de la science « V »

Mais il n’y a pas d’état de l’humanité qui n’en exige, et le premier pas de celui qui veut penser est de s’enhardir aux contradictions, laissant à l’avenir le soin de tout concilier. […] Tous les états que traverse l’humanité sont fautifs et attaquables. […] Dans la constitution définitive de l’humanité, la science sera le bonheur ; mais, dans l’état imparfait que nous traversons, il peut être dangereux de savoir trop tôt. […] En effet, le terme du progrès universel étant un état où il n’y aura plus au monde qu’un seul être, un état où toute la matière existante engendrera une résultante unique, qui sera Dieu ; où Dieu sera l’âme de l’univers, et l’univers le corps de Dieu, et où, la période d’individualité étant traversée, l’unité, qui n’est pas l’exclusion de l’individualité, mais l’harmonie et la conspiration des individualités, régnera seule ; on conçoit, dis-je, que dans un pareil état, qui sera le résultat des efforts aveugles de tout ce qui a vécu, où chaque individualité, jusqu’à celle du dernier insecte, aura eu sa part, toute individualité se retrouve comme dans le son lointain d’un immense concert.

246. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — I. » pp. 201-219

Mais ce que j’ai fait, et ce que j’aurais fait en tout état de cause, j’ai beaucoup lu et feuilleté Beaumarchais, qui est l’homme le moins discret quand il parle de lui-même, et il me semble qu’à le bien écouter dans ses aveux et ses confidences familières, on en sait déjà presque assez. […] Le père de Beaumarchais, horloger de son état, et qui éleva son fils dans la même profession, paraît avoir été un homme bon, cordial, et qui avait conservé, des habitudes protestantes, un fonds de conviction et d’affection religieuse. Lorsque plus tard, dans ses fameux procès, on lui reprocha son extraction bourgeoise, Beaumarchais parla de ce père d’une manière charmante, et qui rappelle Horace : Vous entamez ce chef-d’œuvre, disait-il à Mme Goëzman (sa partie adverse), par me reprocher l’état de mes ancêtres. […] Bref, le comte de La Blache, usant de toutes sortes de moyens, gagne son procès, fait saisir les meubles du prisonnier, le ruine de frais, et Beaumarchais se voit, en deux mois de temps, « précipité du plus agréable état dont pût jouir un particulier, dans l’abjection et le malheur : Je me faisais honte et pitié à moi-même », dit-il. […] Ainsi celui qui, au commencement de sa riposte, n’était encore que le brillant écervelé, comme l’appelait Voltaire, avait subitement passé à l’état de grand citoyen.

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