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206. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Rêves et réalités, par Mme M. B. (Blanchecotte), ouvrière et poète. » pp. 327-332

Il y a même dans ce volume quelques cris trop déchirants pour être confiés à l’art et qui font mal à entendre ; mais l’auteur qui, tout en les laissant échapper par moments, sait qu’il ne faut pas tout dire, et qu’il y a la pudeur de la muse et celle de la femme, a d’ordinaire exhalé ses émotions et ses larmes par un détour et à travers un léger voile qui les laisse arriver sincères encore, mais non pas trop amères ni dévorantes. […] L’auteur, pour peu qu’il s’apaise un jour et qu’il rencontre les conditions d’existence et de développement dont il est digne, me paraît des plus capables de cultiver avec succès la poésie domestique et de peindre avec une douce émotion les scènes de la vie intime : car si Mme Blanchecotte (ce qui est, je crois, son nom) a de la Sapho par quelques-uns de ses cris, elle aurait encore plus volontiers dans sa richesse d’affections quelque chose de mistriss Felicia Hemans, et tout annonce chez elle l’abondance des sentiments naturels qui ne demandent qu’à s’épancher avec suite et mélodie.

207. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIIe entretien. Poésie sacrée. David, berger et roi » pp. 225-279

David, berger et roi I La poésie lyrique est donc, dans tous les pays et dans toutes les langues, la manifestation de ce besoin mystérieux de chanter qui saisit l’âme toutes les fois que l’âme est saisie elle-même par ces fortes émotions qui tendent les fibres de l’imagination jusqu’à l’inspiration ou jusqu’à ce délire, délire poétique, religieux, amoureux, patriotique. […] Dieu, l’amour, la patrie sont les inspirations les plus habituelles des grands lyriques, parce que la religion, l’amour, la patrie sont les plus sublimes, les plus intimes ou les plus généreuses émotions de l’homme. […] C’est par elle que la pensée a du cœur, et c’est par ce cœur immatériel de la pensée que l’émotion de l’âme devient plus vivante en nous et plus communicative hors de nous. […] L’âme est par conséquent le génie essentiel du poète lyrique ou de l’orateur, car le poète ou l’orateur ne produiront d’émotions religieuses, amoureuses ou patriotiques qu’à proportion de ce qu’ils auront été eux-mêmes émus. […] y eut-il jamais pour un poète une source plus abondante, dans son propre cœur, d’émotions, d’hymnes ou de larmes ?

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